
|
Lorsque Paul meurt, le paulinisme a quasiment perdu la bataille. Condamné à
linactivité par lemprisonnement des dernières années de sa vie, lapôtre
na pas réussi
à faire triompher ses idées. Ses frères de Jérusalem lont abandonné,
sans doute parce
que la rupture avec le judaïsme quil proposait paraissait encore trop importante. Ceux
de Rome ne semblent pas lavoir soutenu, soit quils aient été fâchés
de voir arriver ce
missionnaire qui prétendait régenter leur foi, soit quils aient appartenus eux aussi à une
mouvance proche du judaïsme. Enfin, loffensive judaïsante dont il a fait lobjet
a
fortement contribué à le marginaliser et à faire de la tendance paulinienne un courant
minoritaire au sein des communautés chrétiennes. Stratégiquement, il a perdu la partie.
|
|
Sa mort a dû passer quasiment inaperçue dans les persécutions
que subit le
christianisme des années 60. La première génération des grands apôtres disparaît :
Pierre meurt martyr vers 68, Jacques, « évêque » de Jérusalem est
assassiné en 62.
Les chrétiens souffrent. La communauté de Rome connaît la persécution de Néron,
déclenchée après lincendie de Rome. Celui-ci, nous dit Tacite, pour calmer la foule
laccusant davoir mis le feu, « supposa des coupables » (Annales xv, 44, 2) : les
chrétiens. La communauté de Jérusalem, quant à elle, subit de plein fouet les
conséquences de la révolte déclarée par les Romains aux Juifs après leur soulèvement
de 66. Ces derniers, en effet, las dêtre soumis à loccupant romain, las des exactions
des différents gouverneurs, et excités à la sédition par des nationalistes zélotes
qui
prétendirent prendre le pouvoir à Jérusalem, causèrent une réaction violente
des
Romains qui firent marcher leurs armées sur Jérusalem, y mirent le siège, prirent la
ville en 70 et détruisirent le Temple.
La destruction du Temple engendra une situation nouvelle. Les chrétiens,
comme
nous lapprend Eusèbe de Césarée, fuirent Jérusalem dès le début
du conflit :
« Le
peuple entier des fidèles de lÉglise de Jérusalem migra avant le début de
la guerre
hors de la ville, sur loracle que donnèrent certaines personnes très saintes divinement
inspirées, et on leur ordonna dhabiter une ville doutre-Jourdain du nom de Pella :
tous ceux
qui croyaient en Christ, abandonnant Jérusalem, transportèrent leur siège à Pella. »
(Eusèbe,
Histoire Ecclésiastique, iii, 5.)
Les Juifs, quant à eux, durent apprendre à vivre sans le Temple. La
renaissance de
la religion provint dun vieux rabbin pharisien de Jérusalem, Yohannan ben Zakkaï, qui
obtint des Romains de fonder une école juive à Yavné (Jamnia), située à une
quarantaine de kilomètres de Jérusalem. Son école connut très vite un succès
considérable et ce fut grâce à elle que le judaïsme ne mourut pas. La contrepartie
de
cette survivance ne tarda pas à se faire sentir : toutes les tendances étrangères
au
pharisaïsme disparurent car elles furent impitoyablement traquées.
Ce changement doctrinal majeur du judaïsme fut très important pour
les chrétiens.
Les synagogues juives de la Diaspora, qui navaient pas connu de persécution, furent
bientôt envahies de pharisiens qui réclamaient une allégeance à la nouvelle forme
de la
religion juive. Ces missionnaires chargés de « reprendre en main » les communautés
juives ne pouvaient pas saccommoder de la situation floue dans laquelle se trouvaient
les chrétiens vis-à-vis des pratiques du judaïsme, quoiquelle eût été
tolérée jusqualors :
ou bien il fallait pratiquer la Loi dans son intégralité en reconnaissant que le Messie était
encore à venir, ou bien il fallait partir. Le christianisme se voyait privé de ses appuis
dans les synagogues et se retrouve désorienté.
|
|
Au cours des années 80, le christianisme sort de la crise quil a connue
pendant dix
ans, et connaît un regain de combativité en tentant une offensive sur les synagogues.
Deux tactiques sont essayées pour se concilier les Juifs et les gagner à ce qui apparaît
de plus en plus comme une nouvelle religion. La première est celle que manifeste
lÉpître de Jacques, qui condamne une forme affadie du paulinisme affirmant que
les
œuvres (les actes) ne sont rien, que la foi est tout. Peu importe ce que je fais, pourvu
que jaie la foi ; telle est lerreur que condamne Jacques. Ce faisant, il tente
de donner
une certaine « respectabilité » aux chrétiens pour se concilier les pharisiens
qui
triomphent dans les synagogues. Voyez, dit-il, nous ne sommes pas tellement éloignés
de vous, et nous pouvons nous comporter comme dauthentiques Juifs ! La tactique est
conciliatrice. Au contraire, lÉvangile selon Matthieu, adopte une stratégie de
séparation : les Juifs sont très violemment condamnés, en particulier les « scribes
et
pharisiens hypocrites » qui sont vigoureusement dénigrés dans le chapitre 23. Le
but
est de rallier au christianisme tous les Juifs qui ne saccommodent pas du triomphe de
la « ligne » de Yavné.
Petit à petit, les Églises pauliniennes font entendre leur voix à
leur tour en tentant à la
fois de rendre à leur apôtre une stature prestigieuse et de fournir à son message une
respectabilité. La première œuvre que nous ayons conservée de cette tentative est
lensemble constitué par lÉvangile selon Luc et les Actes des Apôtres,
que lon attribue
également à lévangéliste Luc. Ces deux ouvrages poursuivent le même but :
donner
une narration cohérente du passage queffectue le christianisme dun enracinement juif
à une évangélisation des païens. La figure de Paul se dégage des Actes, mais
elle est
précédée de celle de Pierre, pour bien montrer que les deux apôtres ont travaillé
de
concert. De manière générale, les divergences entre Paul et le judaïsme sont
gommées : à aucun moment la rupture avec lÉglise-mère de Jérusalem
nest
consommée, à aucun moment il nest fait écho aux tentatives de contre-prédication
menées par des missionnaires de la cité sainte. À certains points stratégiques de
la vie
de Paul, la fidélité aux autres apôtres est soulignée : lors de la vocation,
Ananie
« enregistre » le revirement de lancien persécuteur et le fait entrer
dans la nouvelle
communauté ; lors du concile de Jérusalem, on parvient à un accord ; lors du
dernier
passage de Paul à Jérusalem, les Anciens lui donnent de précieux conseils pour le
sauver ; lors de larrivée à Rome, les chrétiens de la ville lui font cortège.
La figure
dominante est celle dun Paul qui na jamais renié son judaïsme ; les Églises
pauliniennes, a fortiori ne diffèrent pas véritablement des autres : ce sont des
gens
fréquentables.
Plus le temps passe, plus les disciples de Paul prennent de lassurance
et
sorganisent. Sous le nom de leur apôtre, ils font paraître une série de lettres,
les épîtres
pastorales, cest-à- dire les deux lettres à Timothée et lÉpître à Tite. Malgré lartifice
littéraire de la pseudonymie, il nest pas difficile de décrypter les destinataires de
la
lettre : les jeunes communautés pauliniennes, mais aussi les communautés
chrétiennes anciennes qui ont été chassées de la synagogue et qui connaissent des
difficultés dorganisation. Les pastorales sont en effet constituées de conseils
« techniques » pour organiser une communauté et de petites notations destinées à
glorifier Paul.
Mais lactivité ne se borne pas à des questions structurelles :
les Églises
pauliniennes développent toujours davantage la théologie du maître. Le condensé
de
cette théologie est représenté par lÉpître aux Éphésiens et
son « double » lÉpître aux
Colossiens. La première partie (Ép 13) présente le programme de Paul lunion
dIsraël et des païens dans le Christ comme déjà réalisé.
En effet, accentuant la
conviction de Paul, lÉpître annonce que dès aujourdhui, tous les hommes sont
sauvés
dans le Christ. La différence entre les païens et les Juifs nest donc plus pertinente.
La
Loi présentée comme une véritable barrière, un mur infranchissable entre les deux
peuples, vient de tomber. Le lecteur de lÉpître aux Éphésiens se trouve au
point
daboutissement final de lévolution paulinienne. Il ny a désormais quune
seule Église,
celle des chrétiens, qui regroupe en son sein Juifs et païens. Elle est bien ce corps dont
le Christ est la tête ou seconde image sa fiancée bien-aimée.
« Rappelez-vous
donc quautrefois, vous les païens qui étiez tels dans la chair, vous qui
étiez appelés prépuce par ceux qui sappellent circoncision,
dune opération pratiquée
dans la chair ! rappelez-vous quen ce temps-là vous étiez sans Christ, exclus de
la cité
dIsraël, étrangers aux alliances de la Promesse, nayant ni espérance ni Dieu
en ce monde !
Or voici quà présent, dans le Christ Jésus, vous qui jadis étiez loin, vous êtes devenus
proches, grâce au sang du Christ. Car cest lui qui est notre paix, lui qui des deux peuples
nen
a fait quun, détruisant la barrière qui les séparait, supprimant en sa chair la
haine, cette Loi
des préceptes avec ses ordonnances, pour créer en sa personne les deux en un seul Homme
Nouveau, faire la paix. » (Ép 2, 11-15)
Or cest Paul, qui est le ministre de ce « mystère » :
cest lui qui est chargé de
lannoncer (Ép 3). La seconde partie exhorte les chrétiens à se conformer au corps
du
Christ : ici encore, il sagit dune évolution de la théologie paulienne. Le
Christ, peu à peu
devient transcendant. Alors que dans les épîtres authentiques, il participait pleinement à
lhumanité, il en est désormais le chef, la Tête du Corps, au ciel pour la gloire éternelle.
Enfin, dernier témoin de cette vitalité de lÉglise paulinienne,
les épîtres du fondateur
sont peu à peu organisées en recueil. On date de cette époque le rassemblement des
écrits de Paul, comme le montre la Seconde Épître de Pierre (2P 3, 15-16). Lusage
que
lon compte en faire est double : dune part, il sagit de garder trace de la théologie
et de
la manière de faire du fondateur, dautre part, le collationnement permet de donner des
informations sur la place de la tendance paulinienne au sein du christianisme : les
curieux ne manquent pas dans lEmpire pour la nouvelle religion et les autres Églises
commencent à reconnaître la spécificité du paulinisme.
|
|
Les successeurs de Paul ont peu à peu construit une image de lapôtre :
elle nous
renseigne vivement sur lempreinte qua laissée le Juif de Tarse sur ses contemporains.
Paul, avant tout, est vu comme lapôtre par excellence. Alors
que dans ces lettres, il
évite soigneusement dapparaître comme lunique messager du Christ, même lors
des
crises majeures avec les Galates et avec les Corinthiens, les écrits de la tradition
paulinienne font comme sil nen existait aucun autre : la Première Épître
de Clément,
datée du début du iie
siècle le nomme « bienheureux apôtre Paul » (I Clément xlvii, 1)
tandis quIgnace dAntioche parle dun homme « saint, éprouvé, bienheureux »
(Ignace,
Éphésiens 12, 1). Concomitante à cette image, celle du missionnaire : Paul
est apparu
comme un évangélisateur hors pair, réalisant des conquêtes exceptionnelles. On a
vu
que lauteur des Actes en fait un homme qui convertit des régions entières de lAsie
mineure et de la Grèce. Les Pastorales vont plus loin : « Le Seigneur, lui, ma
assisté et
ma rempli de force afin que, par moi, le message fût proclamé et quil parvînt
aux
oreilles de tous les païens. » (2Tm 4, 17). Tous les païens
la mission paulinienne
se
déploie à léchelle du monde.
Issue de cette figure exemplaire de lapostolicité, une seconde figure
peut se mettre
en place, celle du maître fondateur, père de communautés. Le style de lÉpître
aux
Éphésiens se rapproche du style impératif du maître écrivant à ses élèves,
au détriment
de la sollicitude paternelle habituelle à Paul :
« À
vous, ce nest pas ainsi quon vous a enseigné le Christ, si du moins vous lavez
entendu dans une prédication et un enseignement selon la vérité qui est en Jésus. »
(Ép 4, 20-
21.)
Cette épître est écrite dans le droit fil de la tendance esquissée
par les Actes des
Apôtres. Lallocution aux anciens de Milet, par exemple, ressuscite la tradition des
discours de patriarches, comme celui de Moïse qui, sentant la fin proche, donne en
maître les derniers conseils, lultime sagesse de sa vie.
« Faites
attention à vous et à tout le troupeau dont lEsprit Saint vous a établis surveillants
[ἐπισκόπος = « évêque »]
pour paître lÉglise de Dieu, quil sest acquise par son propre sang.
Je sais, moi, quaprès mon départ des loups rapaces entreront, qui népargneront
pas le
troupeau, et que de vos propres rangs se lèveront des hommes aux discours pervers pour
entraîner les disciples à leur suite. Cest pourquoi soyez vigilants, en vous rappelant
que,
pendant trois ans, je nai cessé, nuit et jour, de reprendre avec larmes chacun dentre
vous. »
(Ac 20, 28-31.)
Troisième avatar du Paul après Paul : celui du persécuteur
auquel Dieu fait grâce et
qui devient persécuté. Lapôtre est érigé en témoin de la puissance
de Dieu, qui
convertit et qui donne le courage de supporter les épreuves. On a déjà vu que le récit
des Actes insistait sur cet aspect de la miséricorde de Dieu, que lon ne trouvait pas à
ce degré dans les épîtres authentiques. Les pastorales font encore un pas de plus en
clarifiant la situation :
« Je
rends grâces à celui qui ma donné la force, le Christ Jésus, notre Seigneur,
qui ma
jugé assez fidèle pour mappeler à son service moi, naguère un blasphémateur,
un
persécuteur, un insulteur. Mais il ma été fait miséricorde parce que jagissais
par ignorance,
étranger à la foi ; et la grâce de notre Seigneur a surabondé avec la foi et
la charité qui est
dans le Christ Jésus. » (1Tm 1, 12-16.)
Le portrait est plutôt peint à charge pour lapôtre et fait
ressortir par différence la
puissance de la grâce de Dieu. Un nouveau motif apparaît : laction par ignorance,
qui
nétait absolument pas présente dans les épîtres authentiques. Véritable
réceptacle de
la grâce, Paul est celui qui triomphe également des épreuves par cette grâce. Le
thème
connexe est celui de la fermeté devant les épreuves :
« Souviens-toi
de Jésus Christ, ressuscité dentre les morts, de la race de David, selon
mon Évangile pour lequel je souffre jusquà porter des chaînes comme si javais
commis des
crimes. Mais la parole de Dieu nest pas enchaînée. Cest pourquoi jendure
tout pour les élus,
afin quils obtiennent le salut qui est dans le Christ Jésus avec la gloire éternelle. »
(2Tm 2, 8-
10)
« Souviens-toi de Jésus Christ ! », « La
parole de Dieu nest pas enchaînée ! », sur
ces slogans se bâtiront les représentations de Paul pendant des siècles : un apôtre
dur,
inflexible, pourvu dune longue barbe, vêtu dun ample manteau, tenant à la main
une
épée, son attribut principal. Pourquoi une épée ? Certains y voient limage
du passé de
persécuteur, de la violence omniprésence dans la vie de lapôtre. Dautres
la prennent
pour lemblème des souffrances quil dut affronter. Les derniers, remémorant un
passage de lÉpître aux Éphésiens, y lisent lemblème de la parole
de Dieu : « Recevez
le casque du Salut et le glaive de lEsprit, cest-à- dire la Parole de Dieu. »
(Ép 6,
17.) Acérée et tranchante, elle distingue les croyants, sépare les damnés des
sauvés,
détruit de sa lame les ennemis du Christ. Un apôtre violent, un prédicateur fougueux,
un
martyr de la foi, voilà ce que la culture chrétienne a choisi de retenir après la mort
de
Paul.
Une exception toutefois : Rembrandt. Le voici dans sa prison, le regard
dans le
vague, vieillard exténué et méditatif, préoccupé par le sort de ses Églises
depuis son
cachot. Ou ailleurs : un livre sur les genoux, il vient dannoter de son crayon les
Écritures, à moins quil ne compose encore une de ses lettres. Le visage est ridé,
lexpression tendue, comme si la juste formule se dérobait, comme si lexpression
heureuse qui rallierait les Églises séchappait.
Et de fait, il y a bien deux Paul. Le petit homme fougueux au magnétisme étonnant,
qui convertit les Asiates puis les Macédoniens, les Galates, les Corinthiens, et le chef
dÉglise soucieux, enchaîné, qui sait davance quil a perdu la partie
contre les
judaïsants malgré sa certitude davoir raison de se tourner vers les Nations, et qui
supplie ses communautés de se laisser réconcilier avec Dieu. Deux Paul, deux
compréhensions de la victoire de lÉvangile aussi. Pour les uns, il est une puissance
de
Dieu qui se dévoile dans les manifestations spectaculaires, les conversions, les genoux
pliés et la tête courbée. Pour les autres, il est lultime dignité de la faiblesse
qui se sait
mourir et qui espère encore, une lumière dans la tourmente pour porter la bonne
nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs la délivrance et rendre aux aveugles la vue,
renvoyer libres les opprimés, soigner les cœurs brisés, proclamer une année de grâce
du Seigneur.
Le Livre des Actes est refermé depuis longtemps et le dernier mot de
lÉpître à
Philémon résonne encore, la tête est pleine des images de cette époque apparemment
proche, les asphodèles de Jérusalem, les pommiers de Macédoine, les petits chardons
du Taurus séloignent, les conflits, les aspirations, le bruit des victoires se taisent. Il
est
temps de fixer le lointain et dinterroger la pâle figure qui se hâte sur le chemin dÉphèse
à Philippes.
Était-ce un docteur ? Certaines épîtres sont toutes de
premier mouvement, mal
construites, peu cohérentes, incomplètes. Dautres sont lumineuses, subtiles,
maîtrisées. Paraissant dédaigner la rhétorique, leur auteur est le premier à
lutiliser.
Condamnant la philosophie, il se fait lui-même philosophe et dialecticien pour
convaincre les Romains, persuader les Corinthiens, rassurer les Thessaloniciens,
conforter les Philippiens. À coup sûr, il ne parle pas à la dévotion populaire ;
on en fait
plutôt la figure de lhomme daction ou de lintellectuel. Oublié dès
sa mort, il est
redécouvert par les docteurs de lÉglise des iiie et ve siècles.
Le subtil saint Augustin en
fait son maître et il préside tous les conciles et toutes les controverses. Le Moyen Âge
lensevelit une seconde fois sous limposante figure de Pierre et il faut attendre Luther
et
le protestantisme pour quil retrouve une « seconde jeunesse » aussi bien chez
les
catholiques que chez les protestants.
Était-il un mystique ? Ses discours nont rien de laimable
poésie dun saint François,
de létonnante pénétration de maître Eckhart, de la touchante simplicité
de sainte
Thérèse : ils sont précis, nets, dépourvus délan et de mystère.
Mais quelle est cette
profondeur qui lui fait saisir dun coup, sans préparation, le mystère de la croix, la
nature
de lEsprit, le rôle de lÉglise ? Comment comprendre que cet homme sûr
de lui et
volontaire fut un jour saisi et, dès lors, ne cessa plus davoir des visions et des
révélations ?
Est-il un saint ? Comme il est fier, cassant, emporté ! Ce
petit homme ne saurait être
un saint. Capable des plus grands élans de tendresse, on le voit parfois mesquin, rivé à
ses privilèges, railleur, ironique, dur. Sans cesse, il se défend, se justifie, se disculpe.
Une fois quil a une idée, il y tient, et tout lunivers ne lempêcherait pas
davoir raison. Et
pourtant
Le voilà humble et doux avec Philémon, soucieux et paternel avec les
Philippiens, rongé dune inquiétude de mère avec les Corinthiens. Et justement,
avec les
Corinthiens : nétait-il pas souple, conciliant, polissant les arguments, proposant les
arrangements, pourvu que lessentiel soit annoncé ? Homme à la personnalité
écrasante, il imposait sa loi, aidé par sa persuasion dêtre sans cesse dans le
vrai. Mais
quel magnétisme, quel charme extraordinaire, quel rayonnement hors du commun
parviendront à expliquer quil fit tant de conversions ? Homme tendre et inquiet, de
fréquentation charmante, il est soucieux de la vie de ses communautés, souffrant de les
savoir loin de lui, cest un timide, un petit rhéteur gauche et rougissant qui ne sait pas
faire de grands discours. Traître à son parti religieux, au bord du schisme avec
Jérusalem, il trouve constamment le courage de préserver lunité, dannoncer
lÉvangile,
de poursuivre sa tâche : expliquer au monde et à lui-même que le christianisme est
bien
une religion et pas une énième réforme du judaïsme. Et bien plus quune religion :
une
rencontre avec le Christ, Dieu incarné.
|
|
|
|
|