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Que fit Paul après sa vocation ? Les connaissances font défaut.
Les Actes des
Apôtres, après s’être longuement étendus sur sa vocation et ses conséquences,
ne
disent rien de son activité missionnaire immédiatement ultérieure. Pendant douze ans,
avant qu’il ne fasse ses premières armes de prédicateur affilié à l’Église
d’Antioche, le
futur apôtre des païens se bat dans l’ombre.
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Le seul témoignage qui reste de l’activité de Paul après
sa vocation est fourni par le
principal intéressé :
« Lorsqu’il
a plu à celui qui dès le sein maternel m’a mis à part et appelé par sa grâce,
de
révéler en moi son fils pour que je l’annonce parmi les païens, je ne pris pas immédiatement
conseil de la chair et du sang ; je n’allai pas non plus à Jérusalem vers mes prédécesseurs
dans l’apostolat, mais je partis pour l’Arabie puis revins à Damas. » (Ga 1,
15-17.)
Après la révélation dont il a bénéficié, Paul affirme
ne pas avoir écouté ce que lui
dictaient « la chair et du sang ». L’expression, qui se trouve également
en Mt 16, 17, est
une image pour signifier l’individu, conçu dans sa faiblesse et son statut de créature ;
elle ne laisse pas d’être ambivalente. Signifie-t-elle que Paul n’a pas pris conseil
de sa
propre faiblesse et que, n’écoutant que son courage, s’est lancé dans l’aventure
apostolique ? Veut-elle dire plutôt que l’apôtre a joué les francs-tireurs
et ne s’est pas
soucié de prendre conseil des autres chrétiens ? Une chose semble sûre : puisque
sa
vocation vient entièrement de Dieu, il n’est pas allé au centre de la chrétienté
d’alors que
constituait Jérusalem : il est parti promptement vers « l’Arabie ».
Où est située l’Arabie ? Si l’on se réfère
aux usages de l’époque, il ne peut s’agir que
de l’Arabie Pétrée, le royaume des Nabatéens, dans l’actuelle Jordanie. Nous
retrouvons donc Paul, descendant en ligne droite vers le sud, par la « route royale »,
de
Damas à Pétra, s’engouffrant dans les défilés de la capitale nabatéenne,
tournant au
coin des tombeaux gravés dans la roche et s’installant dans cette étonnante cité.
La situation que trouve le nouveau converti en Arabie est plutôt troublée.
Arétas IV,
roi des Nabatéens, avait accordé sa propre fille en mariage au tétrarque de Galilée
Hérode Antipas (le fils de cet Hérode le Grand qui s’inquiétait tellement en voyant
les
Mages débarquer à Jérusalem). Mais Antipas avait répudié la Nabatéenne
pour
épouser Hérodiade, la femme de son propre demi-frère, Philippe. Arétas vivait donc
en
conflit avec les Juifs, sans oser déclencher de guerre ouverte, de peur que les Romains
n’y voient prétexte à transformer son royaume en province. Dans ces conditions, un
Juif un peu remuant comme Paul, faisant parler de lui pour annoncer une foi qui se
distinguait encore mal des croyances juives, ne pouvait être vu d’un très bon œil.
Paul n’a donc pas dû rester très longtemps en Arabie ; c’est
plutôt à Damas qu’il a
appris les rudiments du métier d’apôtre.
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Damas fleurissait du désert comme une des villes les plus imposantes de
l’Orient
ancien. Après une longue histoire, elle avait connu une période particulièrement brillante
sous les Perses. À mesure que Paul s’en approchait, après avoir traversé les ingrats
paysages arides, surgissait comme une île de verdure qui s’étendait à l’horizon.
Une
ceinture de vergers donnait à la ville une agréable fraîcheur, qui se communiquait aux
maisons en terrasses dominées par les nombreux et brillants édifices. Un cours d’eau
abondant roulant de l’Anti-Liban, le Barada, irriguait avec générosité les champs
d’abricotiers et de vignes produisant le fameux raisin de Damas.
Damas constituait un terrain d’évangélisation de choix :
la communauté juive y avait
une certaine puissance. Les débuts de Paul ne durent pourtant pas être très brillants :
comment convaincre quand on traîne derrière soi une réputation de persécuteur ?
La
technique employée s’annonçait modeste : une discussion pendant les heures chaudes
à l’intérieur d’une maison amie ou bien à l’ombre d’une fontaine,
près de la place du
marché, à moins que ce ne fût au travail, incidemment, en cousant des peaux et en
discutant avec ses compagnons ou ses clients.
À Damas comme ailleurs par la suite, la prédication n’eut qu’un
temps : la ville passa
sous le contrôle du roi nabatéen Arétas, celui qui détestait si fort les Juifs,
qu’il estimait
traîtres et sans parole.
Paul retrouva-t-il les ennemis qu’il s’était fait au cours de
son séjour en Arabie, se
signala-t-il par son insouciance à la situation troublée que connaissait la ville ? Nul
ne le
sait. La Seconde Épître aux Corinthiens affirme qu’il dut fuir précipitamment Damas,
quitte à y perdre un peu sa dignité :
« À
Damas, l’ethnarque [le représentant] du roi Arétas faisait garder la ville des
Damascéniens pour me capturer. Mais c’est par une fenêtre, dans un panier, qu’on
me laissa
glisser le long du rempart, et ainsi je lui échappai. » (2Co 11, 32-33.)
L’apôtre des Gentils, descendu comme un ballot de linge sale :
les aléas du ministère
apostolique conduisent à se retrouver dans des situations peu enviables, que Paul ne
cherche pas à dissimuler.
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La suite de l’Épître aux Galates constitue encore la source principale
sur cette partie
obscure de la vie de Paul :
« Ensuite,
trois ans plus tard, j’allai à Jérusalem voir Pierre et demeurai près de lui pendant
quinze jours. Je ne vis aucun apôtre, sinon Jacques, le frère du Seigneur […]. Ensuite,
j’allais
dans les régions de Syrie et de Cilicie. » (Ga 1, 18-21.)
À quoi se rapportent ces trois ans ? à sa vocation ou à sa
fuite de Damas ?
Impossible de le décider. Il faut se contenter d’alléguer qu’autour des années
37-40, Paul
« monta » à Jérusalem pour voir Pierre. Le chef des apôtres, qui
est un témoin direct de
la vie de Jésus et de sa Résurrection a sans doute complété la formation chrétienne
du
nouveau converti. Paul, grâce à Pierre, pu apprendre des détails concrets, mémoriser
les paroles du Sauveur, parfaire sa connaissance des thèmes théologiques en vigueur
au sein de l’Église-mère de Jérusalem.
Cette rencontre se doublait d’un enjeu politique indubitable. Paul, jusqu’à
présent, ne
bénéficie d’aucune caution morale, d’aucune garantie pour appuyer ses dires. Il
a sans
doute pris de l’assurance dans la foi chrétienne et s’est peut-être heurté à l’hostilité des
premiers frères qui, cessant de s’étonner du miracle de sa vocation, commencent à
s’irriter de le voir prendre de l’ascendant dans la communauté, lui, le persécuteur
de
naguère. Rencontrer Pierre permet à la fois d’apprendre de manière intensive le
métier
d’apôtre mais aussi de s’insérer dans le cercle des prédicateurs « assermentés ».
Paul en profite également pour voir Jacques, qui appartenait à la famille
du Christ. Si
Pierre jouissait d’une certaine influence dans la communauté de Jérusalem il ne la
dirigea jamais. Le « premier évêque » des Hébreux – ainsi le
nomme-t-on parfois
malgré l’anachronisme du titre, car son autorité était plutôt morale – était Jacques. Or ce
dernier représente au sein de l’Église apostolique une faction attachée au judaïsme,
qui
souhaite conserver l’observance des prescriptions juives : l’avoir rencontré est
une
garantie supplémentaire pour Paul.
Rendre visite au berceau du christianisme présentait un troisième avantage
pour le
bouillant néophyte : celui de se faire mandater pour une mission officielle. Paul se
dévoile en mentionnant son départ pour les régions de Syrie et de Cilicie dont il est
originaire. Pourquoi le préciser, sinon pour suggérer que sa venue dans ces contrées
était bien le résultat d’une commission apostolique et que les apôtres de Jérusalem
ont
traité le bourreau de naguère en légat du Christ ?
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Pour l’heure, Paul n’a rien d’un illustre fondateur ou du brillant
supérieur d’une
communauté en pleine expansion : nulle part dans ses lettres à venir, il ne parlera des
Églises qu’il rencontre à cette époque d’initiation et à aucun moment
il ne manifeste les
sentiments de paternité spirituelle qui l’animent au souvenir des communautés qu’il
a
fondées. Le temps des fondations et de la correspondance viendra à la cinquantaine.
Pour l’instant, il n’a que trente ans.
Malgré toutes les réticences méthodologiques que l’on éprouve
de nos jours à se fier
littéralement aux Actes des Apôtres, force est de reconnaître qu’il n’existe
aucun autre
témoignage sur la période qui s’étend du voyage à Jérusalem pour rencontrer
Pierre et
Jacques (vers 30-35) à la première lettre – la Première Épître aux Thessaloniciens –
que l’on date de 50- 51. Il faut donc convenir avec les Actes que pendant ses années,
presque vingt ans, Paul accomplit des missions pour l’Église d’Antioche, située
effectivement entre la Syrie et la Cilicie.
Après Jérusalem, le voici donc à Antioche. Antioche – Antioche
sur l’Oronte, la
moderne Antakya, pour la distinguer d’Antioche de Pisidie, actuellement Yalvaç, que
Paul visitera également – était alors une ville florissante, capitale de la province
romaine
de Syrie. Il faut se représenter une ville fastueuse, célèbre pour sa large avenue à
trois
voies (une pour les piétons, une pour les chars et la troisième pour les véhiculés
lourds)
bordée de colonnades qui conduisait à une monumentale statue de Jupiter. Cette
avenue était coupée à angle droit par une autre rue, toute de marbre revêtue, qui
faisait
l’orgueil de la ville par ses statues et ses colonnes. Vers le nord, le fleuve Oronte formait
une île sur laquelle était bâti l’ancien palais des Séleucides, une luxueuse
résidence
parée d’un portique grandiose, le Tétrapylon, où aboutissaient toutes les colonnades
de
la ville. C’était une ville qui connaissait une profusion d’eau, une métropole de
plus de
500 000 âmes, la troisième du monde romain.
La population d’Antioche était des plus mélangée et Ernest
Renan en fait un tableau
très vif, sans doute assez inexact mais très suggestif, parfaitement dans le goût des
peintures du xixe siècle :
« C’était
un amas inouï de bateleurs, de charlatans, de mimes, de magiciens, de
thaumaturges, de sorciers, de prêtres imposteurs ; une ville de courses, de jeux, de danses,
de processions, de fêtes, de bacchanales ; un luxe effréné, toutes les folies de
l’Orient, les
superstitions les plus malsaines, le fanatisme de l’orgie. Tour à tour serviles et ingrats,
lâches
et insolents, les Antiochéens étaient le modèle accompli de ces foules vouées au
césarisme,
sans patrie, sans nationalité, sans honneur de famille, sans nom à garder. Le grand corso
qui
traversait la ville était comme un théâtre où roulait tout le jour les flots d’une
population futile,
légère, changeante, émeutière, parfois spirituelle, occupée de chansons, de
parodies, de
plaisanteries, d’impertinences de toutes espèces. […] C’était comme un enivrement,
un songe
de Sardanapale où se déroulaient pêle-mêle toutes les voluptés, toutes les
débauches,
n’excluant pas certaines délicatesses. »
Les Juifs constituaient une très importante et puissante minorité de
la population.
Parmi eux, les chrétiens formaient un groupe très actif. Leur dynamisme joua un rôle
capital dans la formation de Paul comme apôtre des Gentils.
Trois termes d’origine semblable qui recouvrent des réalités
différentes.
1. Hellénique désigne ce qui est propre à la Grèce,
pays des Hellènes.
2. Hellénistique s’applique à la culture et aux institutions
de l’empire d’Alexandre le
Grand et de ses successeurs (Séleucides en Syrie, Lagides en Égypte…)
3. Les Hellénistes sont plus particulièrement les Juifs de culture
grecque.
La communauté d’Antioche, en effet, avait été fondée
par Nicolas – croit-on –, un des
sept du groupe d’Étienne, ce qui la signale comme une Église helléniste, plus détachée
des prescriptions judaïques que toutes celles que Paul avait connues auparavant.
Antioche est le laboratoire d’un nouveau mode de vie en commun, au contact des
« païens » : les Grecs, les Scythes et toutes les nations qui composent
la ville. De
nouveaux modes d’évangélisation sont tentés, comme cette intensive pratique du
voyage missionnaire au sein des terres peuplées de Gentils, habitude qui demande un
abandon au moins partiel des lois de pureté du judaïsme. Fonder des communautés
pagano-chrétiennes est nécessaire à l’essor du christianisme car le salut passe aussi
par les païens : telle est la conviction des chrétiens issus de cette ville mélangée.
Dans
un ier siècle
qui n’était pas accoutumé au prosélytisme des Juifs, le christianisme
apparaît à Antioche comme une étrange forme du judaïsme : une secte missionnaire.
Cette option ne fut pas décidée sans heurts puisque les chrétiens
durent à une
certaine époque se retirer de la synagogue tant leur fréquentation des incirconcis les
rendait impurs : cette séparation fut enregistrée par l’administration romaine elle-même,
car l’auteur des Actes nous apprend – et il n’y a aucune raison d’en douter –,
que ce fut
à Antioche que les disciples de Jésus furent dotés d’une dénomination spéciale :
χριστιανοί, « chrétiens ».
Paul, en tant qu’apôtre des Gentils, est un pur produit de cette doctrine
antiochienne,
même s’il exprime cette conviction avec son génie propre et si l’expérience
mystique de
Damas lui assure une place spéciale. On pourrait dire de manière polémique que sa
véritable conversion, qui s’exprime comme une certitude d’avoir à fonder
des
communautés nouvelles, en consommant au besoin la rupture avec le judaïsme, est
probablement le fruit de sa longue fréquentation des missionnaires d’Antioche.
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S’il a déjà beaucoup voyagé, Paul n’a pas encore fait
du voyage une de ses
occupations principales. C’est à Antioche qu’il apprend la technique d’expansion
qui fut
l’une des raisons du succès du christianisme : le voyage missionnaire. Sa méthode
est
toujours un peu la même : procéder de proche en proche, en partant des grands centres
urbains. On commence par la synagogue : là se trouvent les hommes les plus
sensibles à la nouvelle religion. Les missionnaires entrent donc dans ces maisons dont
la principale caractéristique est le dépouillement : pas de sculptures, nulle mosaïque.
Comme tous les nouveaux venus au sein de la communauté juive – on les considère
encore comme des Juifs et non comme les sectateurs d’une nouvelle religion –, on leur
demande des nouvelles, une prédication, au cours de la prière du samedi… et
l’évangélisation peut commencer. Ensuite, les missionnaires bâtissent des
groupements au sein des villes qui sont autant de relais pour une prédication qui
emprunte les grands axes d’échanges puis les petites routes, puis les chemins, puis les
sentiers pour gagner jusqu’aux villages les plus reculés.
Apôtre par vocation, Paul se fait voyageur par profession : il rejoint
alors la foule de
ses contemporains ; car contrairement à ce que l’on croit parfois, l’homme de l’Antiquité
se déplace beaucoup.
À l’époque, le moyen le plus efficace de voyager est le transport
maritime : l’absence
d’un réseau routier véritablement cohérent, en dépit de l’effort impérial
encore récent,
impose d’utiliser les bateaux, et ce d’autant plus que de véritables « lignes
régulières »
s’étaient mises en place depuis les Grecs, comme la route du Pirée à Éphèse via
les
Cyclades et Samos, maintes fois utilisée par l’apôtre. Elles étaient empruntées
par de
gros navires servant à la fois au transport des marchandises et des voyageurs (la
distinction entre « cargo » et « paquebot » n’existe pas
dans l’Antiquité). Les passagers
s’y entassaient à l’arrière du pont, dans une indescriptible promiscuité, car
bien peu
étaient les navires pourvus de cabines nommées à l’époque dietæ.
Chacun dormait à la
belle étoile ou simplement protégé par une tente. Selon leur manière de négocier
avant
le départ, les passagers font eux-mêmes la cuisine – le patron ne garantissant que la
fourniture de l’eau potable – ou bien partagent celle de l’équipage. Une série
de tabous
encore peu connus réglait les comportements : il était par exemple particulièrement
néfaste de consommer du poisson (sic !) ou d’avoir des rapports sexuels.
La vie à bord est lente et monotone, malgré la grande solidarité
qui y règne. De
manière générale, on s’ennuie beaucoup et l’on prend plaisir à écouter
un compagnon
comme Paul prêcher sa religion.
Même si les traversées sont relativement sûres, les naufrages
sont fréquents. Pour
les éviter, les lignes maritimes suivaient les côtes. Les hommes de l’Antiquité,
qui ont
fondé une partie de leur prospérité sur les échanges maritimes, n’étaient
pas de grands
marins et faisaient du cabotage ! En outre, pour échapper aux vents violents, personne
n’embarquait pendant l’hiver : la mer était « fermée ».
Nul ne s’avisait d’entreprendre un
voyage pendant ces mois dangereux et c’est pour avoir dérogé à cette loi que le
capitaine censé conduire Paul à Rome lors de son voyage de captivité verra son navire
s’abîmer (Ac 27).
La cause la plus fréquente des naufrages est l’excès de chargement
ainsi que le
manque d’expérience des marins. Chavirer est chose facile : le seul moyen pour
prévenir le navire de s’abîmer consistait à ceinturer la coque pour l’empêcher
d’éclater
(cf. Ac 27, 17), de laisser aller l’ancre pour ralentir l’allure (ibid.),
de jeter la marchandise
à l’eau.
La malice humaine n’était pas en reste : des naufrageurs
allumaient des feux sur les
côtes pour donner l’illusion aux marins de toucher une rade, des pirates arraisonnaient
les navires, même si Rome, depuis Pompée, se targuait d’assurer la sécurité
en
Méditerranée. Les côtes de l’Asie Mineure, ses récifs où précipiter
les bateaux, ses
nombreuses anses où se dissimuler, se dressaient comme autant de menaces.
La mer n’est certes pas un moyen de transport agréable : si le
voyageur n’est pas
effrayé par tous ses inconvénients, il doit en outre surmonter la nausea, le mal de
mer :
tous les passagers étaient loin d’avoir le pied marin et Sénèque, pourtant philosophe
stoïcien, le redoutait tellement qu’il lui est parfois arrivé d’exiger de se faire
débarquer
plutôt que de continuer à être secoué !
Opter pour la route n’était pas non plus de tout repos. Certes, les
Anciens avaient
l’hospitalité facile et il n’était pas très compliqué de trouver un toit
pour la nuit. A fortiori,
Paul, largement inséré dans le réseau serré de la Diaspora juive trouvait toujours
des
relations commerciales, de la famille, des compatriotes ou des amis pour l’héberger.
Comme tous les membres de toutes les sociétés secrètes ou religieuses, il était
assuré
d’une solidarité confraternelle. L’apôtre pour autant, n’aimait pas se comporter
en
parasite : il n’a de cesse de répéter qu’il travaille de ses mains pour ne
pas être à la
charge des autres.
À certaines étapes, pourtant, il lui arrivait de se loger dans des
auberges payantes.
Le confort y était plutôt sommaire : un lit, une lampe, un pot de chambre constituaient
le
seul mobilier et l’établissement fait parfois office de lupanar. Les voleurs sont légion
et
quand on voyage à pied dans certaines régions, il est difficile de leur échapper. Aussi
ne
dort-on que d’un œil, ses effets serrés contre soi, dans l’appréhension constante
de
quelque malhonnête.
La crainte générale est celle des insectes : dans les régions
d’Asie Mineure,
marécageuses et peu saines, les moustiques sont partout et les fumigations se révèlent
en définitive presque inefficaces. Et même si l’on est parvenu à s’en débarrasser,
comment venir à bout des hordes de cafards, des théories de puces, des kyrielles de
tiques, et comme Paul en fit l’expérience à Malte selon les Actes, des serpents
venimeux ?
Pendant la journée, il faut être prudent, car les chemins ne sont pas
tous tracés : ils
sont mal entretenus et, en l’absence de carte, comment savoir qu’on emprunte le bon ?
Dans les montagnes escarpées du Taurus que Paul traversa plus qu’à son tour, le pied
glisse et l’on risque la chute mortelle. Utiliser les guides locaux se fait à ses propres
risques : leur intérêt est peut-être de vous égarer, de vous faire disparaître
définitivement, et l’on en vient à regretter de ne pas s’être égaré
pour de bon…
Fréquenter les grandes routes est souvent aussi dangereux : le banditisme
est
endémique au sein de l’Empire, corollaire des heurts consécutifs à la mise en place
de
la paix romaine ; des populations mal intégrées, souvent en Asie Mineure, comme les
Pamphiliens ou les Pisidiens, ont une solide réputation tandis que certaines classes
sociales isolées, qui n’ont pas conquis leur place dans l’Empire, trouvent dans cette
pratique cruelle, un exutoire à leur rancœur.
En définitive, la façon la plus sûre de voyager est de voyager
en groupe. Paul aimait
la compagnie quand il se déplaçait pour son propre compte : ses itinéraires prouvent
qu’il empruntait la route des marchands de textile : de l’intérêt de conserver
ses
anciennes relations de travail ! Il partait donc avec ces caravanes lourdement chargées,
essentiellement composées d’animaux de bât comme les mules ou les mulets, qui ne
servaient qu’exceptionnellement de monture : il fallait que l’on fût bien fatigué
pour avoir
à les monter ; la plupart du temps, chacun faisait route à pied. Il est peu probable –
malgré l’iconographie persistante de la chute de cheval ! – que Paul n’empruntât
jamais
un cheval : c’était une bête coûteuse demandant un entretien complexe et dont
l’apôtre
n’aurait su que faire lors de ses séjours prolongés dans les villes qu’il visitait.
Au cours de ses années à Antioche, Paul entreprit de nombreux voyages,
de
nombreuses missions d’évangélisation, seul ou sous la conduite d’un membre plus âgé
ou plus expérimenté de sa communauté, comme Barnabé, dont nous parle les Actes.
De ses missions, nous ne savons plus le détail : seule nous reste la reconstitution
postérieure qu’en fait l’auteur des Actes des Apôtres dans les chapitres 13 à
18. C’est
en se fondant sur les données qu’ils fournissent que l’on doit reconstruire l’évolution
de
Paul : de simple missionnaire d’Antioche, il devient, de 37 à 50, l’Apôtre
des Gentils.
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