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Après toutes ces crises, Paul pouvait se croire soulagé. Mais voilà
que la
contestation renaît et, terrible constatation, cest Corinthe, la perle des Églises
pauliniennes, qui entre en crise. Paul se voit derechef contraint à croiser le fer.
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De toutes les villes de lAntiquité, Corinthe est sans doute lune
des plus opulentes,
de toutes les Églises pauliniennes, la plus riche. Sa situation géographique en fait le lieu
de passage obligé des navires allant de Rome en Asie : elle est la porte daccès à
lOrient. Elle possédait deux ports, Cenchrées et Léchée, lun sur le
golfe de Corinthe et
lautre sur la mer dÉgée, qui étaient reliés entre eux par une pente
glissante, le diolcos.
À une époque où le canal nétait pas construit, le passage de listhme
de Corinthe se
faisait en effet par voie terrestre. Le spectacle savérait des plus intéressants :
on fixait
les bateaux sur des berceaux de bois et on les posait sur des cylindres. Il fallait ensuite
pousser et tirer lénorme masse en déplaçant les cylindres pour faire avancer le
navire
vers lautre rive, le long de la route pavée sur laquelle étaient inscrits les chemins à
suivre. La manœuvre prenait bien deux ou trois jours et rapportait beaucoup dargent à
la ville : les droits de péage sélevait à un bon chiffre tandis que les portefaix
qui
charriaient le bateau faisaient payer cher leurs services. Le système était excellent pour
le commerce de la ville : durant cette halte forcée, les marins dormaient dans les
auberges, buvaient et mangeaient dans les tavernes, fréquentaient les prostituées ; les
armateurs et les commerçants en profitaient pour conclure des affaires, pour échanger
des marchandises, pour décider de nouvelles courses.
Tandis que les riches voyageurs habitaient dans la ville, Cenchrées et Léchée
faisaient figure dentrepôts maritimes et de ville à marins, remplies dauberges
et de
gargotes. À Corinthe, deux villes étaient enfermées dans la même enceinte. La ville
haute, lAcrocorinthe, se trouvait à 600 mètres au-dessus de la mer dans une position
quasi inexpugnable. Elle nétait habitée que par des soldats et par les prêtres.
Des
temples prestigieux qui sy élevaient, dédiés à la Mère des Dieux, à
la Nécessité, à la
Force, à Isis, à Sérapis et à Vénus. La ville basse, celle où vivaient
presque tous les
Corinthiens, était construite en terrasse jusquau roc de lAcrocorinthe. Elle était
organisée autour de lagora, la place centrale. De cette agora partaient des rues bordées
de colonnes et de statues dune richesse étonnante. Si Athènes faisait un peu figure
de
ville universitaire, Corinthe était la ville industrieuse, riche, commerçante. Dans lune,
les
temples nétaient plus entretenus, les piédestaux des statues délaissés, leurs
marbres
pillés vers Rome ou vers Antioche, les maisons étroites et pauvres ; dans lautre,
les
demeures étaient larges et spacieuses, meublées avec un luxe parvenu, les
sanctuaires trop bien entretenus, les rues trop neuves.
À Corinthe, le colon romain ne formait quune petite minorité :
la population de la ville
était des plus mélangée Grecs, bien sûr, mais aussi Africains et Levantins.
Ville de
passage, Corinthe était célèbre pour le dérèglement de ses mœurs : « vivre à la
corinthienne » était une expression répandue pour caractériser une vie de débauche.
Le
géographe Strabon apporte sa pierre à la réputation de la cité : il raconte
quil y avait
même une prostitution sacrée des hiérodules ; ces prêtresses donnaient leur
corps pour
la déesse Aphrodite Pandemos. Il est probable quil ne sagit là que dune
légende, et de
toutes façons ces étranges vestales nexistaient pas au temps de Paul, mais elle est
caractéristique de ce que lon pensait dune ville dont on représentait les habitants
au
théâtre sous le masque du libertin.
La minorité juive de Corinthe devait certainement être assez importante.
On connaît
en effet le goût des Juifs de la Diaspora pour le commerce ; or Corinthe constituait
le
nœud du commerce mondial.
Paul arrive à Corinthe au cours de son « deuxième »
voyage missionnaire. Les
Actes nous disent lhistoire dune évangélisation plutôt pacifique (Ac 18,
1-17) où,
malgré une certaine agitation des Juifs et une comparution devant le proconsul Gallion
qui dirigeait la province, lapôtre fait son travail en se tournant vers les païens et
en
demeurant assez longtemps dans la ville. À Corinthe, il fait la connaissance de Prisca et
Aquilas, qui seront pour lui de précieux seconds. Ce couple juif converti au
christianisme, chassé de Rome par la persécution de Claude, avait sans doute établi
dans la ville une sorte de « tête de pont » du christianisme. Ils durent accueillir
lapôtre à
bras ouverts : assez isolés à Corinthe, ils avaient dû être catéchisés
assez rapidement
à Rome et lexpérience de Paul leur faisait défaut.
Lépisode corinthien est parmi les plus assurés du livre des Actes.
Lentrevue avec
Gallion est corroborée par une inscription trouvée à Delphes au siècle dernier qui
confirme que ce demi- frère de Sénèque était bien proconsul de la province romaine
dAchaïe au temps de Paul. Et il également probable que lissue du procès de
Paul fut
favorable comme lindiquent les Actes : quelle valeur pouvait avoir laccusation
de violer
la Loi juive aux yeux de ce fin lettré qui sennuyait tellement à Corinthe ?
La communauté que bâtit Paul est très active et très mélangée.
On y trouve à la fois
des gens très riches comme ce Sosthène (1Co 1, 14) qui est identifié dans les Actes
comme « chef de la synagogue » (ἀρχισυνάγογος) ;
plutôt que den faire le chef de la
communauté juive, il vaut mieux lire le qualificatif comme un titre honorifique attribué
après des largesses. De même, on trouve Éraste, dont le nom signale un esclave, qui
devait plutôt être un affranchi très puissant : une inscription trouvée dans
le marché du
Nord affirme quil fut édile de Corinthe, cest-à-dire magistrat. Il sagit
sans doute du
même Éraste, dont lépître aux Romains affirme quil est trésorier
(οἰκονόμος,
« économe ») de Rome (Rm 16, 23). Remarquons au passage que le fait dêtre
chrétien
ne paraît pas avoir nui à Éraste : les persécutions contre les chrétiens
nétaient pas
encore courantes et lobligation de participer aux sacrifices de la cité, une nécessité
lorsque lon était magistrat, ne posait sans doute pas tant de difficultés aux premiers
convertis. Il existe également des esclaves au sein de la communauté comme Tertius
(Rm 16, 21) qui joue le rôle de secrétaire de Paul ou Fortunatus et Achaïcus,
dont les
noms ne peuvent être que ceux desclaves. Aussi, Paul affirme-t-il : « Regardez
ceux
qui ont été appelés : il ny a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup
de
puissants, pas beaucoup de gens nobles » (1Co 1, 26). La communauté de Corinthe
était composée majoritairement de gens des classes moyennes, comme ces petits
artisans que fréquentait Paul lorsquil exerçait son métier de fabricant de tentes,
surtout
des païens, même si un Sosthène était certainement juif, et un Crispus « craignait
Dieu », cest-à-dire obéissait à la Loi comme un Juif sans être Juif
de naissance.
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Lorsquen 51, Paul quitta Corinthe pour se rendre à la conférence
de Jérusalem et
pour finalement se fixer à Éphèse, il laissait derrière lui une communauté
nouvelle mais
vivace avec laquelle il se tient en liaison permanente.
Daprès ce que lon déduit de sa correspondance avec les
Corinthiens, Paul mandata
un successeur en la personne dApollos. Les Actes des apôtres nous apprennent quil
était originaire dAlexandrie et quil appartenait à ces johannites dÉphèse
dont on a vu
quils furent convertis par lapôtre dès son arrivée dans la ville. Le personnage
parlait
bien, possédait dindéniables talents de rhéteur et, contrairement à Paul,
jouissait dune
grande aisance oratoire.
Son succès à Corinthe savéra foudroyant ; plus intellectuel
que Paul, meilleur
orateur aussi, il plaisait à ces Grecs habitués aux diatribes enflammées et à léloquence
parfois lourde des faiseurs de panégyriques, des avocats rhéteurs, des démagogues
phraseurs. Et puis, pour ces Hellènes aristocrates, fiers dêtre les pères de la
civilisation
mondiale, le christianisme prenait une tournure familière dans la bouche dApollos et se
dégageait de cette religion de métèques quavait prêchée Paul. Tant et
si bien que se
forma à Corinthe un « parti dApollos », une sorte de sous-Église,
une division.
Faut-il inventer entre « ceux de Paul » et « ceux
dApollos » des différences
théologiques majeurs ? Probablement pas : Apollos ne chercha jamais à faire Église à
part et Paul le réintégrera bientôt dans son équipe. Les causes étaient plutôt
contingentes. Apollos, sans doute par goût et par culture, prêchait un christianisme
beaucoup plus inspiré de la philosophie grecque platonicienne que celui de Paul. Ainsi,
dans la pensée platonicienne, le corps est-il souvent considéré comme une entrave
ainsi que lexprime le fameux jeu de mots σῶμα σῆμα, le
corps est un tombeau. Aussi,
les partisans dApollos interprétèrent-ils la Résurrection comme une résurrection
des
âmes et non une résurrection des corps. Ils adoptèrent en outre dans leur élan un
christianisme très intellectuel Paul, pour les railler, les nommera « spirituels ».
À cette première faille se juxtapose une division sociale : lors
du culte, le rang social
est pris en considération. Dans les premières communautés, pour autant quon puisse
le savoir, le « jour du Seigneur » se déroulait en effet de manière très
communautaire.
Au lever du soleil, ante lucem, on chantait une hymne. Puis, à une heure indéterminée
on se réunissait pour une liturgie imitée de la synagogue : prières, chants, lecture
de
lÉcriture se succédaient, assorties parfois dune allocution (lancêtre
des sermons) de
lapôtre ou de ses associés. Les femmes étaient présentes. Ensuite, vers le
soir,
lassemblée prenait un repas en commun, les agapes, où tout le monde sasseyait à la
même table. Après une prière sur la nourriture (un bénédicité) on mangeait
en commun
ce que chacun avait apporté. Parfois, sans quon puisse aujourdhui savoir si cela se
faisait à des occasions particulières, chacun confessait publiquement ses fautes et
communiait à un pain spécial en répétant les paroles de lInstitution. Très
vite,
cependant, à Corinthe, emportés par lhabitude sociale, les gens bien considérés
dînaient dans les salles à manger (triclinium) tandis que les pauvres sinstallaient
comme ils le pouvaient sur les marches de latrium. Paul trace un portrait très frappant
de cette situation.
« Lorsque vous vous réunissez, ce nest plus le repas du
Seigneur que vous prenez.
Dès quon est à table, chacun prend avant tout son propre repas, et lun a faim
quand
lautre est ivre. Serait-ce que vous navez point de maisons pour manger et pour boire ?
Ou alors que vous méprisez lÉglise de Dieu et que vous voulez faire honte à ceux
qui
nont rien ? Que vous dire ? Vous dire bravo ? Sur ce point, certainement pas ! »
(1Co
11, 20-22.)
Enfin, les Corinthiens ne pouvaient sempêcher dinterpréter
le message évangélique
daprès leurs propres canons. La liberté chrétienne que leur prêchait Paul puisque le
Christ est venu nous sauver, rien ne saurait avoir dimportance avait été comprise
comme une incitation à lindividualisme. De même, lappel à un monde nouveau était
vécu comme un éloge de lexaltation effrénée : de nombreux phénomènes
mystiques,
comme le « parler en langues » interviennent dans la communauté.
Paul, profitant dun voyage commercial des gens de Chloé dÉphèse,
réclame des
rapports sur Corinthe. Il obtient de mauvaises nouvelles et même un appel à laide pour
gérer la communauté
Il envoie Timothée, son fidèle lieutenant avec une lettre,
lactuelle Première Épître aux Corinthiens. Celle-ci est composée de deux parties :
la
première est une attaque directe contre les agissements au sein de lÉglise de Corinthe
alors que la seconde est une sorte de « catalogue » de réponses aux questions
que se
posent les Corinthiens.
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Au début de la lettre, nécoutant que lindignation qui la
soulevé à la réception des
mauvais échos de la communauté, Paul adopte une stratégie qui savère déplorable :
lironie. Il raille les gens qui ont suivi Apollos en les taxant de « beaux esprits »,
en les
présentant sous un jour détestable. Bref, il ne fait pas étalage de charité, comme
on
peut le voir dans ce passage :
« Lhomme
desprit [ψυχικός ; disciple dApollos] ne perçoit
pas ce qui vient de lEsprit de
Dieu : pour lui, cest de la folie et il ne peut le connaître, car cest spirituellement
quon en
juge. Lhomme spirituel [πνευματικός ;
le vrai chrétien], au contraire, juge de tout, et lui-même
nest jugé par personne. Qui en effet a connu la pensée du Seigneur, pour lui faire la
leçon ?
Eh bien, nous ! Nous lavons la pensée du Christ. Quant à moi, frères, je nai
pu vous parler
comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes de chair, comme à des petits
enfants dans le Christ » (1Co 2, 143, 1.)
La différence entre gens desprits et spirituels est tout simplement
radicale puisquelle
procède de lincompatibilité de deux systèmes différents ; un élément
issu de lun nest
pas pertinent dans lautre. Ainsi, en ce qui concerne la foi, les spirituels ne sont-ils pas
plus avancés que des enfants. Traiter ces Corinthiens si fiers de simples gamins !
Dénigrer ainsi ce qui fonde leur dignité leur philosophie voilà qui est
plutôt maladroit.
Poussant la critique jusquà lextrême, il renverse même les catégories
habituellement
valorisées à Corinthe pour faire du christianisme le contre-pied des critères courants :
« Car
il est écrit : Je mènerai à sa perte la sagesse des sages, et lintelligence
des
intelligents je la rejetterai. [Isaïe 29, 14] Où est-il, le sage ?
Où est-il, lhomme cultivé ? Où
est-il, le raisonneur de ce siècle ? Dieu na-t-il pas frappé de folie la sagesse
du monde ?
Puisquen en effet le monde, avec sa sagesse, na pas reconnu Dieu dans la sagesse de
Dieu, cest par la folie du message quil a plu à Dieu de sauver les croyants. Alors
que les
Juifs demandent des signes et que les Grecs sont en quête de sagesse, nous proclamons,
nous, un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens, mais pour ceux
qui
sont appelés, Juifs et Grecs, cest le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car la
folie de Dieu est plus sage que les hommes, et la faiblesse de Dieu est plus forte que les
hommes. » (1Co 1, 19-25.)
Ici lironie cède le pas au catéchisme. Dans ce célèbre
morceau de bravoure, Paul
appelle « esprit » lenthousiasme déplacé des Corinthiens et « sagesse »
leur
obstination à mal le comprendre. Il persifle la prétention des Grecs à tout vouloir
raisonner, à vouloir aller trop loin. À cet orgueil de lintellect, il oppose une théologie
de la
croix. Lexpression, imagée, dit cette nouvelle attitude de Dieu : Dieu élit
de manière
définitive ce qui na pas de valeur. Ainsi est-ce la folie qui devient une foi, un crucifié
qui
devient Christ, la faiblesse de Dieu qui devient la force de Dieu.
Après cette charge, il poursuit sur son élan et stigmatise les scandales
quon lui a
rapportés. Tour à tour, il dénonce trois hontes pour lÉglise de Corinthe.
Première honte, un inceste « légal » : un
homme vit avec « la femme de son père »
(1Co 5, 1). Paul, respectant la liberté de sa communauté, donne son avis : quon
lexcommunie ! Il vote pour ainsi dire « par procuration spirituelle » : « présent par
lesprit, jai déjà jugé, comme si jétais présent réellement
[
], que cet individu soit livré
à Satan pour la perte de son corps » (1Co 5, 3 & 5).
Second scandale : lappel à des tribunaux païens. Ici, il
se range à la coutume
rabbinique : quil y ait des chrétiens qui jugent au sein de la communauté avant
que
laffaire ne soit portée devant les tribunaux impériaux !
Troisième scandale : lutilisation dun slogan sans doute
hérité de la prédication
antiochienne, « tout mest permis », exprimant labsolue liberté
du chrétien sauvé une
bonne fois par le sacrifice du Christ, pour couvrir les pires dérèglements. Usant encore
de la souplesse de son esprit habile à sadapter à toutes les situations, Paul invente
sur-
le-champ une métaphore destinée à une longue postérité : limage
des chrétiens, corps
du Christ. Le Christ, nayant plus au sein de ce monde une réalité visiblement
corporelle, habite le corps de chacun des chrétiens. Ceux-ci lui fournissent leurs yeux,
leurs bras, leurs jambes. Aussi Paul peut-il juger avec dégoût la fornication : « J’irais
prendre les membres [μέλη] du Christ pour en faire les membres d’une prostituée !
Jamais de la vie ! » (1Co 6, 15).
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« Et jen viens à ce que vous mavez écrit »
(1Co 7, 1) : grâce à cette transition, Paul
passe aux questions que lui ont posé les Corinthiens par le biais dune lettre, sans doute
acheminée par Timothée.
Première question : « Faut-il se marier ? ».
Si la demande paraît étrange vingt siècles
après lenvoi de lépître, elle est très pertinente dans un contexte où
lon croit à une
venue prochaine de la fin des temps. Pourquoi se marier, quand le Seigneur vient
bientôt ? Abandonnant son ton polémique, Paul réagit en chef de communauté ;
il fournit
une bonne illustration des qualités dont il faisait preuve avec les communautés :
pragmatisme, réalisme, souplesse. Le maître mot est la décence : « mieux
vaut se
marier que brûler » (1Co 7, 9). Brûler de désir est la manière sûr
de livrer son âme au
Tentateur, aussi faut-il agir en se connaissant soi-même.
On retrouve le même pragmatisme dans la réponse à la seconde question : « que
faire lors des repas voués aux idoles ? ». Il sagit avant tout de se comporter
selon sa
conscience, car, comme lapôtre le rappelle avec bon sens, « ce nest pas un
aliment
qui nous vaudra la faveur de Dieu » (1Co 8, 7). Mais la conscience nest pas tout, car
il
y a également les chrétiens hésitants, ces « faibles », comme les
appelle Paul. Ou bien
ils seront choqués de voir faire quelque chose dinterdit et en viendront à critiquer
le
christianisme, ou bien ils prendront prétexte de cette liberté pour se comporter mal. Paul
règle donc lépineuse question des repas où lon mange de la viande sacrifiée
aux
idoles, les idolothytes, en renvoyant le chrétien à son propre jugement : « Tout
est
permis », dit-il en reprenant le slogan précédent, « mais tout nest
pas profitable » (1Co
10, 23), ajoute-t-il. Toute la liberté chrétienne, sa difficulté, sa grandeur aussi,
se
trouvent dans la gestion de cette liberté qui ne doit pas être perturbatrice ou inquiétante.
Et, touchant ces matières, cest la communauté qui doit être la mesure de la liberté.
Car si Paul ajoute toujours une partie morale à ses lettres, ce nest
certes pas pour
réglementer la vie de ses paroisses : combien de fois renvoie-t-il ses ouailles à leurs
responsabilités, se bornant ici à un conseil, là à un rappel ! Le vrai sens
de ses
admonestations sépanouit dans le groupe tel quil le conçoit : lÉglise
locale doit être le
lieu qui donne à chacun toutes les conditions possibles dobéir à la volonté
divine. Tout
ce qui heurte, tout ce qui divise, détourne lindividu de son vrai but de progression
spirituelle. Le groupe a tant dimportance car il est « guidé par lEsprit ».
En groupe, on a
moins de risque davoir tort que seul et lEsprit de Dieu, ce point de contact et cette
courroie de transmission entre lui et ses créatures, repose sur la communauté. Car
lEsprit est bien ce truchement entre lhomme et Dieu, qui fonctionne par anticipation de
leur union future, à la fin des temps. Lucien Cerfaux en donne une excellente définition :
« LEsprit
Saint anticipe notre condition de sauvés, délus à la qualité de fils de Dieu,
appelés à vivre éternellement dans la familiarité du Père. Il nous établit
dès maintenant dans
cette condition, la réalisant en mystère, lui-même prémices et gage
des biens célestes. »
Laction de lEsprit sétend donc à toutes les périodes
de la vie ou lhomme anticipe la
fin des temps, qui sera un face-à-face avec Dieu vécu dans lamour. Ainsi, chaque fois
quil comprend quelque chose de Dieu, cest lEsprit qui le fait comprendre. Chaque fois
quil se comporte avec charité, cest lEsprit qui fait agir.
Si tout doit être fait pour la progression mutuelle dans lÉglise, a
fortiori doit-on
accorder la plus grande attention au culte qui réunit tous les chrétiens devant Dieu. Les
réponses à la troisième question « comment se comporter pendant le culte ? »
sont
donc particulièrement détaillées. La règle dor est de sy comporter avec
dignité, en
ayant en vue principalement le bien dautrui.
Ainsi, pour éviter les scandaleuses disparités où lun se
gorge quand lautre a faim,
Paul recommande-t-il de faire le plus grand cas de ses motivations : « Sil ny
discerne
le corps du Seigneur, quiconque mange [du pain eucharistié] et boit [à cette coupe],
mange et boit sa propre condamnation. » (1Co 11, 18)
De même, dans une Église où les manifestations spirituelles paraissaient
assez
fréquentes, où lon parle souvent « en langues[2] », tout doit être orienté pour que chacun
puisse comprendre ce qui se dit, et que cela soit au profit de tous. Les Corinthiens
demeurent des Grecs, accoutumés à la mantique (la magie divinatoire) et à une
exaltation proche de livresse dionysiaque. Les visionnaires corinthiens se posent en
révélateurs indispensables et non en humbles témoins, chacun cherche à se faire
gloire. Aussi, même ce don de Dieu quest le parler en langues doit être subordonné à la
communauté. Comme dans toute la vie chrétienne, lamour doit présider à tous
les
actes :
« Quand
je parlerais les langues des hommes et des anges, si je nai pas lamour, je ne
suis quairain qui sonne ou cymbale qui retentit. Quand jaurais le don de prophétie
et que je
connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand jaurais la plénitude de
la foi, une foi à
transporter des montagnes, si je nai pas lamour, je ne suis rien. Quand je distribuerais
tous
mes biens en aumônes, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je nai pas lamour,
cela
ne me sert de rien. Lamour est patient ; lamour est serviable ; il nest
pas envieux ; lamour
ne fanfaronne pas, ne se gonfle pas ; il ne fait rien dinconvenant, ne cherche pas son intérêt,
ne sirrite pas, ne tient pas rancune du mal ; il ne se réjouit pas de linjustice,
mais il met sa
joie dans la vérité. Il excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout. Lamour
ne passe
jamais. Les prophéties ? elles disparaîtront. Les langues ? elles se tairont. La
science ? elle
disparaîtra. » (1Co 13, 1-8.)
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Paul pense avoir calmé les esprits par sa missive et se consacre au sort
de ses
Églises dAsie. Mais à Corinthe, les esprits séchauffent. La lettre maladroite
quil vient
denvoyer ne les range pas de son côté et la plupart des Corinthiens savèrent
prêt à
entendre la contre- prédication judaïsante qui suit Paul à la trace et qui tâche
de défaire
ce quil a construit avec patience. Un homme, dont on ne connaît pas le nom,
commence à agiter les membres de la communauté, toute disposée à faire alliance
avec les nouveaux venus, une alliance plus tactique que véritablement doctrinale.
Daprès ce que lon peut déduire des maigres indications
fournies par la Seconde
Épître aux Corinthiens et de ce que lon peut tirer de la Première Épître,
Paul envoya
Timothée en même temps que sa Première Lettre (ou peut-être un peu auparavant)
pour tester sa popularité (1Co 4, 14-21). Mais les membres de lÉglise ne lui firent
pas
liesse (2Co 7, 12). Aussi lapôtre envoya-t-il une lettre portée par Tite. Ce
dernier,
visiblement, semblait plus apte à remplir cette mission délicate : plus diplomate, plus
souple que Timothée, trop proche de Paul, il était investi de la mission de faire revenir
les Corinthiens dans le giron des Églises pauliniennes. Il avait pour lui sa faconde et
aussi le fait quil soit un païen non circoncis (Ga 2, 1-3).
La lettre quil portait était-elle lactuelle Seconde Épître
aux Corinthiens dans son
entier ? Depuis longtemps la majorité des exégètes a répondu par la négative :
de trop
grandes disparités daccent et de thèmes coexistent dans cette Épître et largument
des
sautes dhumeurs de Paul en cours de rédaction ne tient plus. Les sept premiers
chapitres ont un ton très différent de la fin de la lettre. En outre, les chapitres 8 et 9
se
recoupent partiellement et semblent former une unité à eux seuls : deux billets différents
(ou deux versions du même billet) incitant à la collecte pour les pauvres de Jérusalem.
La Seconde Épître aux Corinthiens se retrouve donc composée de plusieurs sous-
épîtres : A : 2Co 8 ; B : 2Co 9 ; C : 2Co 2,
147, 4 ; D : 2Co 1013 ; E : 2Co 1, 12,
13 &
7, 5-16. Or, considérant le ton adopté dans C, le plus probable est quil sagisse
bien de
la lettre portée par Tite.
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Averti désormais de la susceptibilité des Corinthiens, Paul écrit
donc une lettre
extrêmement diplomatique aux termes soigneusement pesés et choisis : la lettre C.
Aidé dans sa rédaction par Timothée, quil nomme dans ladresse, il tente une
manœuvre de séparation des fronts : en montrant labîme qui sépare les « spirituels »
des judaïsants, il espère défaire lalliance tactique qui les unissait.
Dans un chapitre rendu complexe par lutilisation de termes empruntés
aux
« spirituels », il entreprend de leur montrer que le retour à Moïse, tel
que les judaïsants
le voulaient, est absurde.
« Nous
ne faisons pas comme Moïse, qui se mettait un voile sur le visage [Exode
34, 33-
35] pour empêcher les enfants dIsraël de fixer les yeux sur la fin dun éclat
passager. Leur
esprit sest obscurci. Jusquà maintenant en effet, lorsqu’on lit l’Ancienne
Alliance [παλαιός
διαθήκης, l’Ancien Testament], ce
voile est là. Il nest point
levé ; car cest dans
le Christ quil est
détruit. » (2Co 3, 13-14.)
Moïse, lintermédiaire par excellence de Dieu, se voilait le visage
pour ne pas
montrer aux yeux de ses frères israélites que léclat de son visage provenant du
long
contact avec le Seigneur sur la montagne avait disparu. Moïse, donc, devient, sous la
plume, de Paul une sorte de précurseur de la rencontre avec Dieu : sil a pu, lui, voir
Dieu en face, il na pas pu le faire voir parfaitement aux Hébreux, parce que le Seigneur
ne sétait pas encore incarné : il a laissé un voile sur lÉcriture.
Un voile que lIncarnation
ne rend plus nécessaire. Et léblouissement, par un processus didentification étrange,
sétend pour lapôtre à tous les livres mosaïques : le voile devient
celui de la lecture des
Écritures. Paul, lui, a une telle assurance, quil ne craint pas dêtre ébloui
par la gloire de
Dieu pour ses frères, contrairement à Moïse.
Limage est audacieuse et doit plaire aux Grecs accoutumés à ces
façons de parler.
Elle sattaque en outre à Moïse en adoptant le biais que les Grecs affectionnent :
un
biais interprétatif.
Une fois opérée la distinction entre les deux partis, il peut replacer
le conflit à sa juste
valeur : tout nest quune question de personnes ! Partant, il fait sa propre apologie,
expliquant sa mission dapôtre et justifiant sa conduite à Corinthe. Il centre ce plaidoyer
pro domo sur la théologie de la croix. Lui-même nest quun réceptacle
indigne, un vase
dargile : toute sa conduite, ses réprimandes, ses actes lui ont été inspirés
par le Christ,
comme si ce dernier vivait en lui, pauvre intermédiaire.
« Ce
trésor, nous le portons dans des vases dargile, pour quon voie bien que cette
extraordinaire puissance vient de Dieu et non de nous. Nous sommes pressés de partout,
mais non écrasés ; ne sachant quespérer, mais non désespérés ;
persécutés mais non
abandonnés ; abattus mais non anéantis. Nous portons en notre corps les souffrances de
la
mort de Jésus pour que ce soit la vie de Jésus qui soit manifestée dans notre corps.
Quoique
vivants, nous sommes sans cesse à la mort à cause de Jésus pour que ce soit la vie de
Jésus, qui soit manifestée dans notre chair mortelle. Ainsi la mort fait-elle son œuvre en
nous,
et la vie son œuvre en vous. Animés du même esprit de foi dont il est écrit jai
cru, cest
pourquoi jai parlé [Psaume 106, lxx], nous croyons à notre tour, cest pourquoi
nous
parlons. » (2Co 4, 7-13.)
Il ajoute un peu plus loin pour insister sur cette délégation du Christ : « Nous sommes
les ambassadeurs du Christ ; cest comme si Dieu exhortait par nous. Aussi nous vous
en conjurons, par le nom du Christ : laissez vous réconcilier avec Dieu ! »
(2Co 5, 20).
Jai cru, cest pourquoi jai parlé. Toute la pensée
de Paul peut se résumer à cette
phrase. La foi est non seulement un préalable à la parole, mais elle est aussi une cause
directe : la foi presse pour être exprimée, cest-à-dire pousse à lévangélisation,
au
chant, à la louange. Une foi sans parole, une foi qui ne serait quintérieure, ne serait
pas
authentique.
Enfin, dans une émouvante exhortation, il finit par avouer laffection
qui lunit aux
Corinthiens.
« Ce
nest pas vous qui êtes à létroit chez nous ; ce sont vos cœurs à
vous qui sont
étroits. Payez- nous donc de retour ! Je vous parle comme à mes enfants ; ouvrez
grand votre
cœur ! » (2Co 6, 12-13.)
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Paul, après sa lettre, veut avoir lesprit tranquille et se consacrer à dautres champs
dévangélisation. Dautant plus quil semble avoir été libéré
de sa prison éphésienne. Il
quitte alors la ville et se dirige vers la Macédoine.
Mais de Corinthe, les mauvaises nouvelles lattendent sur le chemin ;
les judaïsants,
voulant reprendre la main, ont réussi à convaincre certains membres de la
communauté que leurs dons apostoliques sont bien supérieurs à ceux de Paul. Paul est
submergé damertume. La lettre quil écrit, la lettre D, est pleine de sarcasme
et de
souffrance. Elles sont loin, la pondération et la mesure de la lettre C ; plus de diplomatie,
plus de mots soigneusement pesés Paul se livre tel quen lui-même et donne libre
cours à son chagrin et à son découragement.
« Je
suis jaloux à votre égard dune jalousie divine ; car je vous ai fiancés à
un époux
unique, comme une vierge pure à présenter au Christ. Mais jai bien peur quà
linstar dÈve,
que le serpent a dupée par sa ruse, vos pensées ne se corrompent en sécartant de
la
simplicité envers le Christ. Si le premier venu vous prêche un autre Jésus que celui
que nous
avons prêché, sil sagit de recevoir un Esprit différent de celui que vous
avez reçu ou un
Évangile différent de celui que vous avez accueilli, vous le supporteriez fort bien ! »
(2Co 11, 2-
4.)
Lironie est amère : les Corinthiens sont prêts à tout
croire, un autre Jésus, un autre
Évangile, un autre Esprit. Ils sont bien ces fils dÈve, séduits par le dernier
qui a parlé.
Avec le Billet à Philémon, cette lettre est sans doute la plus belle
et la plus éloquente
de toutes celles de Paul. Dans sa défense, il exprime toute sa tendresse et toute sa
paternité envers les Églises quil a fondées.
On le bafoue ? Eh bien, il va se justifier ! Les trois premiers chapitres
(1012) sont
une apologie personnelle. Il y exprime sa propre autorité, quil ne faut pas confondre
avec sa douceur apparente. Certes, il est un homme chétif et maigre, qui ne paie pas de
mine, pourtant, cette faiblesse nest quextérieure ; à lintérieur
de Paul brûle une force et
une énergie qui paraissent dans ses lettres.
« Ses
lettres, dit-on, sont énergiques et sévères ; mais, quand il est là, cest
un corps
chétif, et sa parole est méprisable. Quon se le dise bien, que tels nous
sommes en paroles
dans nos lettres quand nous sommes absents, tels aussi, une fois présents, nous serons
dans nos actes. » (2Co 10, 10-11.)
Si lapôtre paraît plus autoritaire dans ses lettres que dans
la réalité, cest quil a de la
considération pour ses Corinthiens, quil entend traiter avec ménagement. Son maître
mot est en effet la gratuité de lannonce de lÉvangile.
Il défend alors ses qualités apostoliques, comme devant les Galates,
en forçant sa
modestie et en faisant passer ses titres de gloire pour de la folie. Pour un Dieu qui nélit
que ce qui est humble, se faire valoir comme les soi-disant apôtres le font nest quune
preuve de folie. Mais puisque cest là le langage que comprennent les Corinthiens, il
nhésitera pas à le tenir puisque leur édification compte bien plus que la sienne
propre.
Lui aussi appartient au peuple élu, lui aussi mérite le respect pour les épreuves quil
a
affrontées. Lui aussi a eu des visions et des révélations, dont il ne parle pas, mais
dont il
pourrait légitiment se vanter.
« Ils
sont Hébreux ? Moi aussi. Ils sont Israélites ? Moi aussi. Ils sont de la race
dAbraham ? Moi aussi. Ils sont ministres du Christ ? Je vais dire une sottise ;
moi, bien plus.
Par les labeurs, bien plus ; par les emprisonnements, bien plus ; par les coups, encore
davantage ; par la mort, plus fréquemment. Cinq fois jai reçu des Juifs les trente-neuf
coups
de fouet ; trois fois jai été battu de verges ; une fois lapidé ;
trois fois jai fait naufrage. Il mest
arrivé de passer un jour et une nuit sur labîme ! Voyages sans nombre, dangers
des rivières,
dangers des brigands, dangers de mes compatriotes, dangers des païens, dangers de la ville,
dangers du désert, dangers de la mer, dangers des faux frères ! Labeur et fatigue, veilles
fréquentes, faim et soif, jeûnes répétés, froid et nudité ! Et sans
parler du reste, mon
obsession quotidienne, le souci de toutes les Églises ! Qui est faible, sans que je sois faible ?
Qui vient à tomber, sans quun feu ne me brûle ? Sil faut se glorifier, cest
de mes faiblesses
que je me glorifierai. Le Dieu et Père du Seigneur Jésus, qui est béni éternellement,
sait que je
ne mens pas. À Damas, lethnarque du roi Arétas faisait garder la ville des Damascéniens
pour mappréhender, et cest par une fenêtre, dans un panier, quon me laissa
glisser le long
de la muraille, et ainsi jéchappai à ses mains. Il faut se glorifier ? Et pourtant
cela ne sert à
rien
et bien ! jen viendrai aux visions et révélations du Seigneur. Je connais
un homme
dans le Christ qui, voici quatorze ans était-ce en son corps ? je ne sais ; était-ce
hors de
son corps ? je ne sais ; Dieu le sait
cet homme-là fut ravi jusquau troisième
ciel. Et cet
homme-là était-ce en son corps ? était-ce sans son corps ? je ne sais, Dieu
le sait , je sais
quil fut ravi jusquau paradis et quil entendit des paroles ineffables, quil
nest pas permis à un
homme de redire. Pour cet homme-là je me glorifierai ; mais pour moi, je ne me glorifierai
que
de mes faiblesses. Oh ! Si je voulais me glorifier, je ne serais pas insensé ; je dirais
la vérité.
Mais je mabstiens, de peur quon ne se fasse de moi une idée supérieure à
ce quon voit en
moi ou à ce quon mentend dire. Et de peur que lexcellence même de ces révélations
ne me
monte à la tête, il ma été mis une écharde en la chair, un ange de Satan
pour me souffleter
pour que cela ne me monte pas à la tête ! Trois fois, jai prié le Seigneur
pour quil séloigne de
moi. Mais il ma déclaré : Ma grâce te suffit : car la force se
déploie dans la faiblesse. Cest
donc de grand cœur que je me vanterai de mes faiblesses, afin quhabite en moi la puissance
du Christ. Cest pourquoi je me complais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les
détresses, dans les persécutions et les angoisses endurées pour le Christ ; car,
lorsque je
suis faible, cest alors que je suis fort. » (2Co 11, 2212, 10.)
Il faut lire en entier ce long texte. Certes, il nest pas possible dassigner
avec
précision lensemble des épreuves, mis à part peut-être la fuite précipitée
de Damas
, mais elles nous donnent une excellente idée de la somme de difficultés et de
souffrance quil faut mettre sous le terme « apôtre » quand Paul lemploie.
Les attaques de ses adversaires de Corinthe, qui critiquaient ses qualités
apostoliques donne à Paul loccasion de préciser sa fonction dapôtre. Dans
la Première
Épître aux Corinthiens, déjà, il avait eu loccasion dexpliciter ces
qualités apostoliques
de désintéressement absolu et dadaptation à la situation. La Seconde Épître
laisse voir
en Paul un mystique qui raconte une de ses expériences à la troisième personne,
comme pour se détacher de ces révélations.
Partout, enfin, on discerne en œuvre la théologie de la Croix, lélection
du dérisoire et
de la faiblesse. Le contrepoids de tous ces motifs légitimes de fierté, en effet, cest
lécharde dans la chair : « De peur de lexcellence même de ces
révélations ne me
monte à la tête, on ma mis une écharde dans la chair, un ange de Satan chargé
de me
souffleter pour que cela ne me monte à la tête » (2Co 12, 7). Cette épine est au moins
aussi célèbre que le chemin de Damas et les commentateurs ne se sont pas privés de
lui donner toutes les interprétations possibles : maladie récurrente, malaria, défaut
délocution, épilepsie et même, récemment, homosexualité.
Sans prétendre résoudre la question, remarquons le contexte.
Malgré les
persécutions, malgré les difficultés, la prédication de Paul fut, au moins pour
un temps,
un franc succès. Gratifié de révélations, opérant des conversions malgré
sa faiblesse,
réussissant à faire des miracles, il est constamment porté par Dieu pour étendre
son
Évangile jusquaux confins de la terre. Et pourtant, dans ses épîtres, on le voit
gaspiller
son énergie à se battre contre ses propres frères. Si seulement il navait eu à
combattre
que les païens ! Lécharde dans la chair de Paul nest-ce pas cette sempiternelle
division, cette impossible unité ? Voir sa propre Église déchirée par des rivalités
internes alors quil y a tant à faire à lextérieur !
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Ce qui frappe en lisant la première partie de lactuelle Seconde Épître
ainsi que le
passage 7, 5-16, cest le caractère pacifié du ton de Paul. Les choses se sont calmées.
Sans doute ses lettres y sont pour quelque chose, sans doute également la présence
de Tite et des nombreux collaborateurs que Paul na pas manqué denvoyer a apaisé
les esprits. Paul écrit désormais à une communauté redevenue favorable.
Paul na plus quà se défendre contre une accusation à
vrai dire plutôt affectueuse,
celle davoir promis de venir et de ne pas lavoir fait. Il répond avec calme :
le seul motif
de sa « dissimulation » nétait que la délicatesse. Il ne voulait
pas intervenir. Dans une
formule très belle, il sexplique : « Cest par ménagement pour vous
que je ne suis pas
revenu à Corinthe. Nous nentendons absolument pas régenter votre foi : nous ne
voulons que contribuer à votre joie, car, pour la foi, vous tenez bon » (2Co 1,
23-24).
Mettant en pratique les exhortations quil faisait dans ses épîtres
précédentes, il
recommande même la mansuétude pour le fauteur de trouble à Corinthe : il est bien
assez puni de sêtre vu désavoué en public : « Il lui suffit du châtiment
infligé par la
majorité : mieux vaut donc maintenant lui pardonner et lencourager, de peur que le
malheureux ne vienne à sombrer dans une peine excessive » (2Co 2, 6-7). Heureuse
conclusion, donc : « Je me réjouis de pouvoir en tout compter sur vous »
(2Co 7, 16).
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