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Les années dÉphèse furent un incessant combat contre la « crise judaïsante ».
Rappelons que lon a coutume dopérer une distinction entre les judéo-chrétiens,
qui
sont des chrétiens dorigine juive qui nont pas abandonné les prescriptions de
la loi
mosaïque et les judaïsants, les Juifs qui non seulement appliquent la Loi mais entendent
limposer en outre aux païens. Deux étapes épistolaires marquent le combat :
lÉpître
aux Galates et lÉpître aux Philippiens.
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Paul visite les Galates lors de son second voyage missionnaire. Après une
longue
marche qui commence en pente douce, parmi les pêchers de la Cilicie, et qui se
poursuit au milieu des tempêtes, des cols à franchir, de la neige, tout cela pour arriver à
des petites cahutes malpropres où lon tremble de fatigue et de faim, où la fièvre
vous
fait grelotter sous les maigres couvertures après cette randonnée il arrive au pays
des
Galates. Il le dit lui-même, il navait pas lintention de sy arrêter mais
une maladie
providentielle le contraint à prolonger la halte. Paradoxalement, ces frontières de la
« Barbarie » lui fourniront plus daide et de réconfort que tous les « civilisés »
quil a
connu :
« Vous
le savez, jétais malade dans ma chair quand je vous ai évangélisé la première
fois,
et, malgré lépreuve à laquelle ma chair vous mettait, vous navez eu ni dédain
ni dégoût. Au
contraire, vous mavez accueilli comme un ange de Dieu, comme le Christ Jésus ! Où
donc
est votre bonheur dalors ? Car je vous en rends témoignage : sil eût été possible de vous
arracher les yeux pour me les donner, vous lauriez fait ! » (Ga 4, 14-15.)
Les Galates sont des Celtes, à linstar de nos ancêtres les Gaulois,
venus en Asie
mineure en 278 av. J.-C. avec armes, femmes, bagages, tentes, dieux, en longues
caravanes précédées de fourriers et déclaireurs belliqueux. Après une
longue marche,
ils se sont concentrés autour dAncyre, lactuelle Ankara, puis de Pessinonte.
Posidonius, dans son ouvrage Les Deipnosophistes les décrit comme de rudes
guerriers aux coutumes très proches de celles des Gaulois et César les dit curieux et
vifs desprit. Ils parlent sans doute gaulois et grec, ce qui facilita lentreprise de Paul.
Ils
entretiennent avec le premier peuple du pays, les Phrygiens, des relations plus ou
moins bonnes, beaucoup moins hostiles que linvasion qui leur fit occuper le territoire
dautrui ne pourrait le laisser présager. Les Phrygiens étaient en effet un peuple plutôt
pacifique, voire indolent, qui assimila très tôt ces nouveaux voisins. Les Galates, peu à
peu, adoptèrent la religion phrygienne et accédèrent à de hautes fonctions sacerdotales
et politiques. Leur déesse était devenue Cybèle, quils adoraient au milieu de transes,
de
sacrifices et de banquets.
Lévangélisation que mène Paul en Galatie est un succès,
dautant plus étonnant quil
ne peut sappuyer sur aucune communauté juive, ni sur une culture propice à la
propagation de la foi. Lorsquil part, il laisse une Église bien constituée et assez
solide.
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Peu après son départ arrivent d’autres missionnaires, des intrus. À en juger d’après
l’Épître aux Galates, ils appartiennent à des milieux juifs : ils arrivent
tout droit
d’Antioche, après que la « ligne judaïsante » l’a emporté
dans la communauté, et ils se
sont lancés dans une contre- offensive de fidélité à la Loi, suivant à la trace
Paul pour
« rectifier » sa prédication. Ce ne sont pas des ennemis personnels de l’apôtre,
simplement d’honnêtes missionnaires, convaincus de la nécessité de la Loi.
Malheureusement, nous n’avons pas gardétrace de leur prédication.
Sans doute le
premier coup de semonce fut-il dirigé contre Paul. L’argument était facile : il
n’a jamais
connu Jésus. Aussi bâtirent-ils leur démonstration autour de son passé et tournèrent-ils
leur discours d’une manière qui devait ressembler à un discours àcharge :
« Paul ?
Il n’a jamais fait partie du groupe que le Seigneur a rassemblé quand il vivait
encore parmi nous. Encore moins fait-il partie des Douze, qui sont les vrais apôtres, les
“officiels”. Au contraire, il était de ceux qui persécutaient nos premiers frères :
il les dénonçait
pendant les assemblées juives. Vous vous rendez compte que c’est auprès d’un persécuteur
de chrétiens que vous avez appris le message qui sauve ?
«
Quant à sa légitimité missionnaire, ne nous en parlez pas. Est-il recommandé par
Jérusalem ? Pas du tout. Bien sûr, il a fait partie du groupe d’Antioche, mais
vous voyez bien
qu’il a été récusé puisque nous, nous sommes les véritables missionnaires
mandatés, nous,
qui sommes venus vous prévenir contre lui.
«
Vous nous dites “qu’est-ce qui distingue ce qu’il nous disait de ce que vous nous
apprenez ?” Vous avez raison, ce qu’il vous a enseigné est cohérent et même,
par certains
aspects, il est d’accord avec nous. Mais sur tous les points concernant le respect de la Loi,
vous voyez bien qu’il a manigancé ses petites affaires à partir des bribes qu’on
lui a apprises
dès qu’il s’est converti. »
L’attaque est triple : elle porte sur la personne de Paul, l’ancien
persécuteur, sur sa
légitimité missionnaire et sur le contenu de sa prédication, c’est-à-dire
sur ce qu’il
annonce du Christ. Probablement, les missionnaires venus d’Antioche devaient
enchaîner sur ce thème, en réhabilitant le respect dû à la Loi :
« Tout
a commencé avec Abraham. Comme on vous l’a dit, c’est le premier homme àqui
Dieu ait parlé, le premier avec qui il ait passé alliance. Être sauvé, c’est
participer à cette
alliance et la seule façon d’y participer, c’est de devenir fils d’Abraham car
Dieu a dit lui-
même : “J’affermirai mon alliance avec toi, et après toi avec ta race dans
la suite des
générations, une alliance éternelle : je serai ton Dieu et le Dieu de ta race après
toi.”(Gn 18, 7).
« Cessez
donc de répéter “Nous ne sommes pas Juifs comme vous, jamais nous ne
pourrons faire partie de ce peuple dont vous êtes”. Certes, vous n’êtes pas Juifs,
mais vous
aussi vous êtes fils d’Abraham ! Ne dit-on pas dans l’Écriture qu’Abraham
eut un premier fils,
autre qu’Isaac, Ismaël, qu’il eut avec sa servante Aggar ? Lui aussi est père
d’un grand peuple
(Genèse xxi) ! et lui aussi, Dieu l’a regardé avec faveur, quoiqu’il fût
parti dans un pays
étranger !
«
Alors, nous vous en supplions, réintégrez la famille d’Abraham ! Rien n’est
plus simple. Il
ne s’agit pas d’abandonner votre foi en Jésus Christ, qui accomplit les promesses des
Livres
Saints, mais de vous faire circonscrire et de vous mettre à respecter la Loi. »
Cette prédication était plutôt convaincante : la vivacité
de la réponse de Paul en
témoigne, les Galates ont cédé à la propagande. Étaient-ils mal évangélisés ?
Dans ce
cas, ils seraient plutôt revenus à leurs anciens rites. Ils cèdent parce que Paul ne
leur a
pas donné de consignes assez précises. De manière générale, les lettres de
l’apôtre
contiennent de nombreuses parties morales mais très peu de détails pratiques : ce
silence est caractéristique de la manière paulinienne. Paul accorde beaucoup plus
d’importance à la liberté de ses communautés qu’à sa mainmise personnelle
sur elles.
S’il met en place des responsables et des dirigeants, il ne cherche pas à installer une
hiérarchie. Certes, cette conception permet au mieux l’épanouissement de la vie d’une
communauté, mais elle a l’inconvénient de laisser croire aux communautés qu’elles
sont livrées à elles-mêmes. Paralysés par l’incertitude, les Galates furent
sans doute
soulagés de trouver une Loi qui puisse les sauver de l’indécision.
Les judaïsants ne remettaient pas en cause l’ensemble de l’enseignement
de Paul,
mais le point précis de la circoncision et du respect de la Loi. Ils devaient s’appuyer sur
Abraham puisque c’est sur Abraham que Paul leur répond.
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Paul réagit vigoureusement à la crise en Galatie car il perçoit
que ce qui se joue dans
cette petite province nest plus seulement une crise dincompréhension, mais une
véritable attaque sur sa propre crédibilité et sa conception de lévangélisation.
Pour
parer lattaque, il se bat pied à pied, argument contre argument. Aussi procède-t-il
en
trois temps : il commence par restaurer sa propre crédibilité (Ga 12) puis il cherche à
convaincre de linutilité de la Loi (Ga 34) pour enfin tracer les grandes lignes dune
réconciliation avec la vie chrétienne telle quil la conçoit (Ga 56).
Pour répondre à lopération de dénigrement dont il est
victime, Paul choisit une
stratégie inattendue : accepter les arguments de ses adversaires pour les tourner à son
avantage. La technique rhétorique est connue : les Anciens lappelaient antiparastase.
Certes, dit-il, je nai rien eu à faire avec lÉglise de Jérusalem : tout
le monde connaît
mon passé de persécuteur. Au contraire, nest-ce pas une preuve de ma crédibilité ;
quel intérêt puis-je avoir à vous prêcher lÉvangile ?
« Est-ce
la faveur des hommes ou celle de Dieu que je veux gagner aujourdhui ? Est-ce à
des hommes que je cherche à plaire ? Si jen étais encore à vouloir plaire à des hommes, je
ne serais plus le serviteur du Christ. » (Ga 1, 10.)
Ce qui était un inconvénient se tourne en avantage : alors que
les missionnaires
durent apprendre leur Évangile dautres hommes, ceux de Jérusalem, lui a pu
lapprendre sans médiation, à la source. Non pas dun homme, mais de Dieu lui-même,
le Seigneur Jésus Christ :
« Je
vous le déclare donc, mes frères, lÉvangile que je vous ai annoncé nest
pas celui
dun homme car ce nest pas dun homme que je lai reçu ni appris, mais de
la révélation de
Jésus le Christ. » (Gal. 1, 11-12.)
Sa légitimité dapôtre nest plus difficile à établir :
puisque Jésus lui est apparu, cest
la preuve que sa mission est divine, elle provient tout droit de sa révélation. Il suffit
donc
de refaire lhistorique de la lutte avec les judéo-chrétiens (Ga 2, 1-21), retourner à
Jérusalem pour y revivre le conflit, souffrir de nouveau à Antioche le revirement de
Pierre : les Galates doivent bien reconnaître que ce nest pas lui qui est en tort !
Sa crédibilité restaurée, Paul peut sattaquer au contenu
du message de ses
adversaires. Deux solutions soffrent à lui : ou bien tenter une conciliation avec les
judaïsants ou bien consommer la rupture et préciser ses idées sur la Loi.
Lheure nest plus à ergoter sur la circoncision ou certaines
prescriptions : Paul
assaille directement la Loi. Ses arguments sont de trois natures : argument
dexpérience, argument issu de lÉcriture sainte, argument théologique.
Lappel à lexpérience, tout dabord, est une évocation
de la conversion des Galates.
Au cours de la prédication de Paul, beaucoup connurent des expériences mystiques :
ces preuves sensibles ne prouvent-elles pas leffectivité de la prédication ? Et
pourtant,
cette réussite se fit sans la Loi, puisque les Galates ne savaient rien du judaïsme. La
Loi, conclut-il, nest pas utile, seule compte la foi :
« Crétins
de Galates, qui vous a ensorcelé, vous qui avez eu sous les yeux limage de
Jésus Christ crucifié ? Je nai quune chose à vous demander : est-ce
pour avoir pratiqué la
Loi que vous avez reçu lEsprit, ou pour avoir cru à la prédication ? [
]
Celui qui vous donne
lEsprit et opère des miracles parmi vous, le fait-il parce que vous pratiquez la Loi ou parce
que vous croyez à la prédication ? » (Ga 3, 1-2 & 5)
Étrangement, cet argument, qui sadresse directement aux Galates paraît
ne pas
être suffisant. Paul commence alors une exégèse digne des rabbins, plus attentive au
détail littéral du texte quà sa situation générale. Il emploie des arguments
tellement
subtils quils passent sans doute la compréhension de ces rudes Gaulois. Au lieu
dutiliser une langue simple et des arguments frappants, il chicane les expressions,
complexifie les explications, bref, il sadresse, à travers lauditoire de ces païens à peine
évangélisés, directement à ses adversaires.
Il part dun constat simple : Abraham na pas eu besoin de la
Loi pour croire et être
sauvé car la Loi a été donnée à Israël bien après la mort du
patriarche.
« On
trouve dans lÉcriture : Abraham crut en Dieu et cela lui fut compté comme de la
justice [Gn 15, 6]. Comprenez-le donc bien : ceux qui sont de la foi, ceux-là sont les fils
dAbraham. » (Ga 3, 6-7.)
Le Seigneur Dieu promet au vieillard Abraham, marié à une femme stérile,
une
postérité plus nombreuse que les étoiles du ciel. Malgré labsurdité de
la parole,
Abraham sy fie et engendre tout Israël : les Juifs descendent de cet acte de foi.
Pourtant, peut-on rétorquer à lapôtre, cette Loi vient quand
même de Dieu :
comment expliquer quelle soit devenue un obstacle pour la propagation de lÉvangile ?
Répondant par anticipation à lobjection, lapôtre poursuit :
« Avant
la venue de la foi, nous étions enfermés sous la garde de la Loi, dans lattente de
la foi qui devait se révéler. Ainsi la Loi fut-elle notre pédagogue nous conduisant au
Christ,
pour que nous obtenions de la foi notre justification. Mais la foi venue, plus de pédagogue !
Car vous êtes tous fils de Dieu, par la foi au Christ Jésus. Vous tous en effet, baptisés
dans
le Christ, vous avez revêtu le Christ : il ny a ni Juif ni Grec, il ny a ni esclave
ni homme libre,
il ny a ni homme ni femme ; vous nêtes quun dans le Christ Jésus. »
(Ga 4, 23-28.)
La Loi nétait quune étape, une contrainte nécessaire à la croissance de lhumanité.
Elle a ainsi joué le rôle du pédagogue, de lesclave qui dans lAntiquité
conduisait lenfant
à lécole. La Loi maintenait lhumanité dans une certaine pureté de mœurs
et un certain
respect envers Dieu afin quelle puisse doucement accepter le message du Christ ; les
geôliers et les surveillants ont leur utilité pour former les hommes ! Mais après
la venue
du Christ, nul besoin de cette coercition. Et, ajoute lapôtre, nul besoin de cette
séparation entre eux. La fin de lintérim de la Loi marque le début de celui de
lunité :
dans lère du Christ, le temps où lon a revêtu le Christ comme un vêtement,
les
différences entre les hommes se volatilisent : ni Juif, ni Grec
Paul consomme-t-il véritablement la rupture avec le judaïsme ?
Il convient de ne pas
durcir son propos. En effet, son intention nest pas de condamner la Loi dans son
ensemble ou bien de proscrire le judaïsme. En affirmant la primauté de la foi, il ne fait
que répéter laccord de Jérusalem : les Juifs peuvent conserver leurs prescriptions
mais il nest pas question de les imposer aux païens. Il ne sinsurge pas véritablement
contre la Loi mais contre le prosélytisme.
Aussi affirme-t-il de façon centrale la foi au Christ. Alors que dans lÉpître
aux
Thessaloniciens, lapôtre se préoccupait de questions de résurrection, de sainteté
et
abordait le problème de la croyance au Christ comme par ricochet, lÉpître aux Galates
marque sa volonté de penser le mystère de Jésus. Et pour mener cette tâche à
bien, il
utilise des notions simples issues de la vie quotidienne comme celle du rachat
(Rédemption) Dieu nous a racheté comme des esclaves qui ont réussi à
payer leur
liberté ou comme celle de ladoption, ce procédé très courant dans lAntiquité
qui
consistait à faire de quelquun plus que son propre fils : son héritier et son légataire.
Il peut ainsi approfondir les slogans de lÉglise dAntioche,
comme « vous avez été
appelés à la liberté » (Ga 5, 13) : la vraie liberté nest pas
la possibilité de faire tout ce
qui plaît, mais elle est une véritable conquête qui demande de la vigilance, pour ne
pas
retomber dans lesclavage de la Loi ou dans dautres esclavages religieux, à linstar
de
ces « éléments du monde » dont il parle, forces obscures des idolâtries
passées ou
simplement habitudes très repérables de la vie en société.
« Aussi
plus desclaves mais des fils ; des fils, et donc des héritiers grâce à Dieu.
Jadis,
lorsque vous ne connaissiez pas Dieu, vous serviez des dieux qui nen sont pas par leur
nature ; mais maintenant que vous avez connu Dieu ou plutôt quil vous a connus, comment
retourneriez-vous à ces éléments sans force ni valeur, auxquels vous voulez de nouveau
vous
asservir ? » (Ga 4, 7-9)
Le Christ doit donner la ligne de conduite. Il faut, comme lapôtre,
pouvoir dire « ce
nest plus moi qui vit, cest le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20). En imitant
le Christ, en
adoptant ses façons de réagir, les chrétiens perpétuent la vie du Christ en eux,
comme
le fait celui qui préserve les habitudes de langage, les sentences, les mimiques, les
idées, les habitudes, les enseignements, bref la vie dun être cher qui est mort. À
travers leur enthousiasme, leur travail, leur conduite, le Christ senflamme, œuvre,
intervient.
Plus lapôtre progresse dans sa lettre, plus le ton sanime, plus
la tendresse quil
éprouve pour les Galates devient manifeste. LÉpître aux Galates conserve avec
précision le mouvement psychologique de lépistolier ; à mesure quil
gagne du terrain
sur ses adversaires, quil sillonne par la pensée la route dÉphèse vers la
Galatie, quil
poursuit sa rédaction, il savise quil ne peut en vouloir à ses enfants dans la
foi. Le chef
dÉglise offensé dans sa légitimité se métamorphose lentement en père
de
communauté soucieux :
« Des
gens désireux de se faire bien voir des autres dans la chair : voilà ce que sont ceux
qui vous imposent la circoncision, à dans le seul but déviter la persécution pour
la croix du
Christ. Car ceux qui se font circoncire nobservent pas eux-mêmes la Loi ; ils veulent
que
vous soyez circoncis, pour se vanter dans votre chair. En ce qui me concerne, puissé-je ne
jamais me vanter sinon dans la croix de notre Seigneur Jésus Christ, qui crucifié le monde
pour moi et moi pour le monde. Car la circoncision nest rien, ni la non-circoncision : il
sagit
dêtre une créature nouvelle ! Et à tous ceux qui suivront cette règle,
paix et miséricorde, ainsi
quà lIsraël de Dieu. Dorénavant que personne ne me fasse des ennuis :
je porte dans mon
corps les marques de Jésus. » (Ga 6, 12-17.)
Dun même mouvement, il peint sa sollicitude paternelle et « invente »
lanthropologie
paulinienne. Pour la première fois, le fameux mot « chair », σάρξ,
fait son apparition.
Arrêtons- nous quelques instants. Lhomme, pour Paul, nest pas une âme légère
et
amie de Dieu inscrite dans un corps lourd et pesant. Lhomme est plutôt un être
intermédiaire, en tension entre deux mondes : un monde temporel, éphémère et
en
mouvement, livré à la « corruption », cest-à-dire à lanéantissement,
et un monde
spirituel, éternel, qui est destiné à la « gloire », à la δόξα,
c’est- à-dire à la proximité
davec Dieu. La frontière entre le monde temporel et le monde spirituel ne recouvre que
très imparfaitement la frontière entre le monde des phénomènes et le monde vécu
selon
la foi, mais la difficulté est que Paul emploie la même terminologie quand il se réfère
au
monde des phénomènes et quand il sintéresse au monde selon la foi.
1. Pour décrire lhomme dans ses manifestations empiriques, Paul utilise
plusieurs
mots, qui ne sont pas, comme dans la philosophie grecque, la désignation dinstances
psychologiques ou de réalités neuronales mais, plus exactement, des concepts
phénoménologiques, des descriptions de ce qui se manifeste quand on observe un
homme. Le concept fondamental est la chair (σάρξ) qui désigne lhomme
dans son
existence terrestre : la chair, cest à la fois le corps et lesprit, lâme
et lintelligence, cest
lhomme entier, périssable et naturel, présent au monde et au visible. Or, comme
chacun peut le constater, lhomme a un mode dexistence extérieur et une « vie
intérieure ». Lextériorité est décrite par le mot corps, σῶμα,
qui recouvre toutes les
manifestations extérieures de la personnes : sa présence visible, ses cicatrices, sa
sexualité. La vie intérieure est plutôt le domaine de l’esprit, la πνεῦμα,
qui rentre en
opposition avec les manifestations sensibles du corps. Au sein de cet esprit, on peut
distinguer plusieurs activités différentes : la puissance de vie, qui sappelle âme chez
Paul, ψυχή, la puissance de compréhension ou entendement, νοῦς,
et enfin l’ensemble
des sentiments, des désirs, des passions, que Paul nomme cœur, καρδία.

Figure 2: l'homme empirique chez Paul
2. Si Paul hérite ces concepts de lanthropologie juive, il les transforme
en fonction de
sa propre expérience de foi et construit des tensions qui révèlent laction conjointe
de
Dieu et du Péché en lhomme. Ainsi bâtit-il une antithèse entre la chair et
lesprit. La vie
selon la chair caractérise lexistence pécheresse des chrétiens, qui nest
pas une vie de
péché (car le péché est vaincu une fois pour toutes par le Christ) mais une sorte
de
résidu du péché, un succédané de péché, un retour en esclavage. Au
contraire la vie
selon lEsprit désigne la vie telle que Dieu laime, la vie qui permettra à lhomme
de
comparaître devant lui. En ce sens, lesprit se comprend comme une sorte de
continuum entre Dieu et les hommes : cest par son esprit que lhomme peut avoir
accès à lesprit de Dieu et à la vie de Dieu. On voit donc bien que, pour Paul,
le chrétien
nest pas un composé de chair et desprit, ou pire, dâme et de corps :
son existence est
en tension entre la chair et lesprit et sa vie écartelée entre deux mondes.
Dès lors, au sein du monde chair/esprit, les réalités de chair,
dâme et dentendement
prennent une interprétation différente. Le corps, qui est pure expression de lhomme
sans nuance de péché, peut se soumettre au joug du péché, qui devient son maître.
Il
se vend au péché et cesse dêtre lui-même. Le corps assujetti au péché
exprime alors
le moi aliéné. Le corps qui vit selon lesprit, au contraire, peut être sauvé,
il devient alors
σῆμα τᾶς δοξᾶς, « corps de
gloire », corps ressuscité. À linstar du corps, lâme et
lentendement peuvent se vendre au péché et se pervertir : lhomme « psychique »
est
celui qui a régressé vers un stade charnel et lentendement altéré se métamorphose
en
raison charnelle, vaine, légère et cherchant par lintelligence à servir le péché.
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Le concept de péché a connu un développement théologique
et moral tellement
complexe quil risque daveugler le lecteur moderne de Paul. Il est exclu de donner dans
les limites de cet ouvrage une définition exhaustive de ce terme. Tout au plus peut-on
tenter dapprocher lintuition paulinienne, quitte à utiliser une métaphysique un
peu
maladroite.
Pour définir le péché, le plus simple est de remonter à sa
définition. En grec, le mot
ἁματρία dérive dun verbe qui signifie « manquer
sa cible », « se tromper de chemin ».
Pour parler familièrement, le péché décrit un état de « loupé ».
En cela, il soppose à un
état où « ça marche » : celui où lhomme agit conformément à lesprit de Dieu et peut,
ainsi, comparaître devant lui et vivre de la vie divine. Il sagit bien dun état
et non dune
succession dactes peccamineux que lhomme aurait pleine faculté darrêter à sa
volonté. Le péché selon Paul doit donc se comprendre plutôt comme un « mal
corporatif », le corollaire de sa vie terrestre et de sa liberté où tout peut à
tout moment
« louper ».
Le mal étant corporatif, lhomme ne saurait, de lui-même, y mettre
un terme. Aussi
faut-il une intervention divine, un don divin qui mette fin au péché : cest le
propre de la
grâce, χάρις. Celle- ci a été donnée de manière suffisante
lors de la venue du Christ sur
terre : par sa mort et sa résurrection, il nous a racheté au péché de manière
définitive,
comme un homme rachète la liberté dun membre de sa famille tombé aux mains des
pirates. Malheureusement, le mal na pas cessé car un succédané de péché
a trouvé le
moyen de sinsinuer en lhomme : cest essentiellement pour le combattre au sein
de
ses Églises que Paul écrit ses épîtres.
Après ce long détour, on comprend que se « vanter dans la
chair » des Galates,
cest se croire forts parce quun petit morceau de chair corruptible a été enlevé,
alors
que Paul, lui, parle à un autre niveau : celui du corps, qui ne saurait être atteint
par la
corruption. Le problème de la circoncision nest donc pas une difficulté : il nest
tout
simplement pas pertinent. Quelle souffrance, aussi, que ses enfants se séparent de lui
pour des bêtises et pour servir lorgueil de missionnaires malintentionnés !
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Pendant que Paul répondait aux Galates, sa situation à Éphèse
devenait de plus en
plus inconfortable. Encore une fois, lapôtre faisait un peu trop parler de lui au goût
des
grandeurs détablissement. Derechef, on lui fait grief probablement de prêcher une
religion nouvelle, de troubler lordre public voire de se mettre à dos les Juifs de la ville. À
Éphèse, la situation est un peu différente des autres villes où Paul connut la
persécution. La ville, on la dit, était un grand centre religieux dédié à
Artémis. Les
marchands de souvenir, maquettes de temples en métal, gourdes contenant de leau
miraculeuse, statues en argent de la déesse, ainsi que les prêtres, ne devaient pas voir
dun œil très favorable cet empiétement sur leur terrain daction. Lauteur
des Actes
retient ce motif dhostilité pour expliquer les difficultés devant lesquelles Paul est
en
butte.
« Un
certain Démétrius, un orfèvre qui fabriquait des temples dArtémis en argent,
procurait
ainsi aux artisans un gain considérable. Il les réunit, ainsi que les ouvriers des métiers
similaires, et leur dit : Cest à cette industrie, vous le savez, que nous devons
notre bien-être.
Or, vous le voyez et lentendez dire, non seulement à Éphèse, mais dans presque
toute lAsie,
ce Paul, a convaincu et entraîné à sa suite une foule considérable, en affirmant
que les dieux
faits de main dhomme ne sont pas des dieux. Non seulement cela risque de jeter le discrédit
sur notre profession, mais encore de perdre la réputation du sanctuaire de la grande déesse
Artémis, et finir par dépouiller de son prestige celle que révèrent toute lAsie
et le monde
entier. À ces mots, ils furent remplis de colère et se mirent à crier : Grande
est lArtémis des
Éphésiens ! » (Ac 19, 24-28.)
Si dans le récit des Actes, lépisode se termine de manière
plutôt pacifique, grâce à
un discours apaisant dun certain « scribe » (γραμματεύς),
il est très probable que Paul
eût à souffrir dun emprisonnement. On déduit cette incarcération dune
analyse
nouvelle de ce quon appelle les « épîtres de la captivité ».
Traditionnellement, on nommait « épîtres de la captivité »
lÉpître aux Philippiens,
lÉpître aux Colossiens, lÉpître aux Éphésiens, lÉpître à Philémon en les estimant
écrites à Rome. Les lettres mentionnent en effet un emprisonnement et transmettent un
« salut » à donner à la « maison de César » (Ph
4, 22), qui ne pouvait sappliquer,
pensait-on, quau palais de lempereur. Or, même si la plupart des exégètes
saccordent
à nier lauthenticité de lÉpître aux Colossiens et de lÉpître
aux Éphésiens, les deux
épîtres qui « demeurent » fournissent suffisamment dinformations
pour dater cet
emprisonnement dÉphèse. « La maison de César », en effet, est
certes le nom
spécifique du prétoire romain, siège de la garde prétorienne les gardes du
corps de
lEmpereur mais on sait que dautres villes importantes de lEmpire avaient elles
aussi
des casernes prétoriennes. La domesticité impériale, par ailleurs, pouvait se rencontrer
partout où lEmpereur et la famille impériale avaient des propriétés. En outre,
dans le
billet à Philémon (Philémon 22), Paul espère revoir Philémon, après une
libération
prochaine. Or Philémon habite à Philippes : lespérance est raisonnable quand
on sait
quÉphèse est assez peu éloignée de Philippes, mais irréaliste quand on
savise de ce
que Rome et Philippes sont à trois mois de bateau lune de lautre !
Le plus vraisemblable est donc de postuler un emprisonnement de Paul à Éphèse.
Emprisonnement peu strict, sans doute, puisquil a le loisir de correspondre et de se
tenir au courant de la situation de ses Églises.
Or lune des choses urgentes quil doit régler, cest la
crise de Philippes.
Philippes est la première ville véritablement européenne que Paul
put évangéliser ;
cest également une communauté composée essentiellement de païens. La cité
avait
été fondée par le père dAlexandre le Grand, Philippe. Elle connut son heure
de gloire
historique en 42 av. J.-C., lorsquAntoine et Octave y battirent les meurtriers de César,
Brutus et Cassius. Octave une fois empereur sous le nom dAuguste, elle devint alors
colonie romaine et reçut le privilège insigne du jus italicum qui lassimilait à
une ville
dItalie. La cité, quoique située en Macédoine, était ainsi transportée
par une fiction
juridique à quelques kilomètres de Rome. Ses habitants ne payaient pas dimpôts
provinciaux ou de taxes personnelles, et ne dépendaient pas du gouverneur de
Macédoine mais de ladministration de Rome. On y parlait latin en pleine terre grecque,
même si tous y connaissaient la langue dHomère.
Si lon en croit les Actes (Ac 16, 1217, 11), lévangélisation
de Philippes fut des plus
mouvementées. Paul, après avoir fait la conversion de femmes assemblées dans un
lieu de prière juif à lextérieur de la ville (sans doute une halte pour voyageurs),
guérit
une pythonisse, cest-à-dire une sorte de devineresse populaire. Commence alors un
charmant roman selon le goût antique : les maîtres, furieux de se voir ainsi dérober
la
poule aux œufs dor, dénoncent Paul aux autorités, qui le torturent et le laissent en
prison. Un ange, heureusement, vient le délivrer. Lhistoire nest sans doute pas sans
un
fond de réalité : il est probable que Philippes faisait partie de ces endroits où,
selon
lapôtre (2Co 11, 23-25), il fut battu de verges. Malgré ces difficultés, Paul conserva
toute sa vie une tendresse toute particulière pour la ville de Philippes, qui, preuve
daffection, ne cesse de lui envoyer des subsides.
Or visiblement, autour des années 54-55, la situation de lÉglise
philippienne est en
train de se dégrader. Paul dut, ici encore, lui adresser une correspondance fournie.
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La lettre au Philippiens, quoiquelle semble dune seule venue, présente
des
différences de ton flagrantes car Paul entend poursuivre plusieurs buts à la fois. Il
commence par donner des nouvelles de sa situation en prison (Ph 1, 13, 1a & 4, 2-9),
puis se lance dans une diatribe violente (Ph 3, 1b - 4, 1) et enfin remercie les Philippiens
de lavoir assisté dans sa captivité (Ph 4, 10-20).
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Cette lettre « de prison » tire son nom des renseignements
quelle fournit sur les
conditions de détention de Paul. La situation de la communauté de Philippes demeure
dans lombre, ce qui laisse à penser que la crise est encore à venir. Cest un cas
unique
où Paul na pas à réprimander, à enseigner, à blâmer. Ces Philippiens
occupent une
situation unique dans le groupe des Églises pauliniennes et donc dans sa
correspondance , puisquils ont participé depuis le premier jour à son travail,
financièrement bien sûr, mais également comme soutien moral et amical. Aussi avoue-t-
il son affection pour eux « Dieu mest témoin que je vous aime tous tendrement
dans
le cœur du Christ Jésus » (Ph 1, 8) et les considère-t-il comme ses collaborateurs :
« Je me rappelle la part active que vous avez prise à lÉvangile depuis le
premier jour
jusquà aujourdhui. » (Ph 1, 5)
Comme un ami donne des nouvelles à ses amis, Paul dit donc ses craintes
et ses
espoirs. Sa préoccupation principale : la crainte dêtre exécuté. Heureusement,
la
procédure semble tourner à son avantage au prétoire (πραιτορός),
c’est-à-dire au
tribunal de la garde prétorienne ; elle est même une occasion de faire de la publicité
autour de lÉvangile.
« Je
tiens à vous le faire savoir, frères, ce qui mest arrivé a plutôt contribué
au progrès de
lÉvangile : dans tout le Prétoire et partout ailleurs, mes chaînes sont devenus
une réclame
pour le Christ, et la plupart des frères, encouragés dans le Seigneur par ces chaînes,
redoublent dassurance pour proclamer sans crainte la parole de Dieu. » (Ph 1, 13-14.)
Paul confesse son état desprit : mourir serait pour lui un gain,
car quitter cette vie
serait un moyen de retrouver son Seigneur Jésus. Mais lintérêt seul de la communauté
prime pour un fondateur tel que lui. Aussi est-il tiraillé entre lespérance et la
responsabilité. Ce débat intérieur se trouve extériorisé dans un fascinant
exercice de
vérité où se révèle une pensée en acte :
« Pour
moi la vie cest le Christ et mourir est un gain. Cependant, si vivre dans cette chair
est utile à mon œuvre, je ne sais pas quoi choisir
Je me sens tiré des deux côtés :
je
voudrais bien men aller pour être avec le Christ, ce qui serait, et de beaucoup, bien
préférable ; mais dun autre côté, demeurer dans la chair est encore plus
nécessaire à votre
bien. Cest avec cette conviction que je sais que je vais rester et demeurer auprès de vous
tous pour votre avancement et la joie de votre foi, afin que mon retour et ma présence parmi
vous soient pour vous un nouveau motif dêtre fier dans le Christ Jésus. Seulement, menez
une vie digne de lÉvangile du Christ, afin que je constate si je viens chez vous
ou que
jentende dire si je demeure absent que vous tenez bon dans un même esprit,
luttant de
concert et dun même cœur pour la foi de lÉvangile. » (Ph 1, 21-27.)
Le besoin des Philippiens requiert quil choisisse la vie et continue de
se battre pour
eux. Ici, en effet, « la chair » désigne « ce monde ».
Aussi peut-il être certain dêtre
libéré : puisquil est le seul à pouvoir soccuper de lÉglise
de Dieu, Dieu fera en sorte de
le sauver ; voilà un raisonnement de bon serviteur confiant dans le pouvoir de son
maître.
La seule critique que peut faire Paul, cest la présence de divisions
au sein même de
la communauté (Ph 2, 1-2) et aussi, sans doute, une certaine prétention, une certaine
tendance à trouver orgueil dêtre chrétien. Paul, rappelant sa théologie de
la croix, cite
un hymne traitant du Christ dans son abaissement :
« Lui,
qui était de condition divine, il ne crut pas devoir garder jalousement son égalité avec
Dieu : il sanéantit lui-même au contraire, prenant la condition desclave,
et se faisant
semblable aux hommes. Et quand il eut ainsi visiblement tous les dehors de lhomme, il
sabaissa lui-même, se faisant obéissant jusquà la mort, et à la mort
sur une croix. Cest
pourquoi Dieu lexalta souverainement et lui donna le Nom qui est au-dessus de tout nom, afin
quau nom de Jésus, tout genou fléchisse, au ciel, sur la terre et dans les enfers et
que toute
langue proclame, à la gloire de Dieu le Père, que Jésus Christ est Seigneur. »
(Ph 2, 6-11)
Le texte est extrêmement célèbre et a connu de nombreux commentaires.
Pour aller
à lessentiel, trois lignes de réflexion extrêmement complexes sentremêlent,
qui furent
dune fécondité extrême pour la théologie. Pour la première fois, tout
dabord, Paul
thématise sous forme dhymne une pensée de la kénose, de labaissement
du Christ
qui met en réserve sa puissance divine pour se faire homme parmi les hommes.
Ensuite, il évoque le thème de lobéissance du Christ au Père : cette
obéissance est-elle
une condition de lexaltation ou une conséquence ? en dautres termes, quels sont
les
rapports entre le Père et le Fils et quel rôle joue lobéissance du Fils au Père
dans la
résurrection ? Enfin, on constate que cet abaissement permet, par une sorte de
passage complexe, lexaltation : de la faiblesse naît la force, de labaissement
la
domination. Le Christ récapitule en lui toutes les souffrances du monde.
Lhymne, en outre, prend tout son relief quand on la rapporte à une Église un peu trop
fière delle-même, et fière dune fierté de bon élève :
dans lhumilité se déploie la victoire
et non dans le contentement de soi puisque même le Christ « ne crut pas devoir garder
jalousement son égalité avec Dieu ».
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Si le travers de lÉglise de Philippes navait été que
la prétention, le prisonnier
dÉphèse pourrait calmer ses inquiétudes ! Mais, voici que, malgré les
excellentes
relations de lapôtre avec sa communauté, celle-ci capitule devant la contre-offensive
judaïsante qui remonte patiemment les traces de la mission paulinienne. Le ton
quemploie Paul est ici très polémique et on y retrouve les mêmes exhortations à
la
vigilance que dans lÉpître aux Galates.
« Prenez
garde aux chiens ! Prenez garde aux mauvais ouvriers ! Prenez garde aux
circoncis ! Car cest nous qui sommes les circoncis, nous qui servons Dieu selon
son esprit
et tirons notre gloire du Christ Jésus, sans placer notre confiance dans la chair. »
(Ph 3, 2-3.)
Lambiance est ici à linsulte et à lironie mordante.
Traiter quelquun de « chien » était
des plus injurieux tant cet animal était dévalué dans la civilisation antique ;
Paul nhésite
pourtant pas à le faire. Moquer la circoncision constituait une sorte de sacrilège, Paul ne
recule pas devant un emploi ironique et devant un détournement de la nature de la
circoncision. La vraie circoncision est celle de la foi (servir Dieu « selon son esprit »)
et
non celle de la chair, imposée par la Loi.
Les Philippiens cédèrent-ils à loffensive ? Peu importe.
Paul fit un voyage en
Macédoine au sortir de sa captivité, qui lui donna loccasion de remettre les choses
en
place. En outre, contrairement à lÉpître aux Galates, lÉpître aux
Philippiens reste au
stade des mises en garde. On y sent comme une complicité qui se passe des longues
explications et de la pédagogie besogneuse de lÉpître aux Galates : un jeu
de mot et
rien de plus. Une lettre du fondateur suffisait probablement à faire autorité.
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Ce passage nous renseigne sur le rapport que Paul entretient avec ses Églises.
Lapôtre semble, en effet, gêné davoir reçu de largent : sil
remercie ses
correspondants, il ne se prive pas de leur dire quil navait pas besoin de leurs subsides :
« Ce
nest pas le besoin qui minspire ces paroles ; car jai appris à me contenter
de mon
sort. Je sais vivre dans labondance comme dans la pauvreté. En tout temps et de toutes les
manières, je me suis initié à la satiété comme à la faim, à labondance
comme au dénuement.
Je puis tout en celui qui me rend fort. Toutefois vous avez eu raison de vous préoccuper de
ma détresse. » (Ph 4, 11-14.)
Paul travaille de ses mains et met un point dhonneur à ne pas être à la charge de
ses communautés. Il accepte donc cet argent, davantage comme un témoignage
daffection et de piété que comme un dû.
« Ce
nest pas que je recherche les dons ; ce que je recherche, cest le bénéfice
qui
saugmente à votre compte. Pour le moment jai tout ce quil faut, et même
davantage, je suis
comblé, ayant accepté dÉpaphrodite votre offrande, parfum de bonne odeur, sacrifice
qui plaît
à Dieu et quil trouve agréable. » (Ph 4, 17-18.)
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Dernier épisode de la captivité dÉphèse : laffaire
Onésime. Cet esclave en fuite de
chez son maître Philémon, était venu trouver lapôtre dans sa prison, pour
lui demander
aide et protection. Ce dernier, qui visiblement laime beaucoup, finit cependant par le
renvoyer à son maître accompagné dun petit mot. Sa lettre est extrêmement
belle dans
sa sincérité.
Elle commence cependant comme une lettre publique : en faisant sa demande
devant la communauté, il espère bien que cette pression sociale contraindra Philémon.
Il développe ensuite deux arguments très subtils. Le premier est une inversion des
rapports sociaux : Philémon, quoique maître dOnésime dans ce monde, lui est
bien
inférieur dans la connaissance du Christ. Ce dernier devient ainsi un frère très cher
pour
Philémon et sans doute plus : une sorte de parrain dans la foi :
« Peut-être
na-t-il été séparé un instant de toi que pour têtre rendu pour
léternité, non plus
comme un esclave, mais bien mieux quun esclave, comme un frère bien aimé : il lest
tellement pour moi, combien va-t-il lêtre pour toi ! selon la chair et selon le Seigneur ! »
(Philémon 15-16.)
Onésime, parce quil est chrétien, devient un frère pour
Philémon. Frère dans ce
monde, « selon la chair » mais aussi dans la suite de lhistoire « pour
léternité et selon
le Seigneur ».
Le second argument est purement privé : Paul fait appel à la mansuétude
de
Philémon comme une faveur personnelle.
« Si
donc tu me considère comme ton ami, accueille-le comme si cétait moi. Et sil ta
fait
du tort ou te doit quelque chose, mets cela sur mon compte. Moi, Paul, je te lécris de ma
propre main : cest moi qui paierai
et je ne veux pas parler de ce que tu me dois :
toi-
même ! » (Philémon 17-19.)
La dette de Philémon est en effet immense : il doit à Paul
lui-même, cest-à-dire le
fait dêtre une nouvelle créature, une homme renouvelé par le christianisme.
Onésime fut-il ou non châtié par son maître ? Lhistoire
ne se poursuit pas et les
épîtres cessent de mentionner son nom. Une tradition fondée sur une épître
dIgnace,
évêque dAntioche conduit au martyre à Rome, veut quil devint par la suite évêque
dÉphèse.
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