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Paul, après la Macédoine, gagne la Grèce et Corinthe, sa capitale.
La situation sest
considérablement pacifiée grâce à sa lettre et il peut passer lhiver 55-56
dans la
communauté quil a fondée. Hélas, même si les tensions se sont apaisées à Corinthe,
la conjoncture générale ne laisse pas dêtre préoccupante. La « ligne
paulinienne » est
loin de sêtre imposée partout dans lÉglise. Un groupe hostile à Paul,
dirigé par lÉglise
de Jérusalem paraît lemporter. Que faire ? provoquer un nouveau synode à
Jérusalem
pour tenter de convaincre de nouveau ? allumer les tensions quitte à engendrer un
schisme ? tenter de conserver sa « longueur davance » en convertissant
de nouveaux
territoires ?
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Paul, habitué à une stratégie de « fuite en avant »
plus quà une consolidation patiente
des positions acquises, décide douvrir de nouveaux champs à sa prédication :
Rome !
lEspagne !
Rome pourrait être sa nouvelle base arrière comme lont été
Antioche puis Éphèse.
Depuis la capitale de lEmpire, il pourrait rayonner autour du bassin méditerranéen.
Car
Rome ne saurait être quune étape, comme il le dit aux chrétiens de Rome :
« À
vrai dire, comme je nai plus dautre champ daction dans ces contrées et que depuis
des années jai un vif désir daller chez vous, quand je me rendrai en Espagne,
jespère vous
voir en cours de route et que vous me mettrez sur le chemin de ce pays, après avoir dabord
un peu profité de votre présence. » (Rm 15, 23-24.)
LEspagne
Comment le Juif de la Diaspora naurait pu en rêver,
lui qui méditait
loracle dIsaïe : « Je suis venu rassembler tous les peuples et les nations,
et ils
viendront voir ma gloire, et je mettrai un signe au milieu deux. Du milieu deux, jenverrai
des survivants vers les Nations, vers Tarsis, Put et Lud, Meshek, Tubal et Yavan, vers
les îles lointaines qui nont pas su mon nom ni vu ma gloire » (Isaïe
66, 18-19). Tarsis,
pour autant quon puisse le savoir, était au bout du monde, vers ces colonnes dHercule
qui signalaient à lAntiquité que sarrêtait le monde habité ; vers
lEspagne, considérée
comme les confins de la terre des hommes.
Mais comment faire pour gagner les chrétiens de Rome ? La plupart sont
organisés
en petits groupes distincts, les uns autour de la synagogue, les autres au sein de leurs
relations païennes. Une grande majorité habite dans le principal quartier juif de Rome,
au-delà du Tibre (lactuel Transtevere), claquemurés dans un quartier particulièrement
sale peuplé de Juifs et de Syriens où lon réceptionne les marchandises venues dOstie
sur des sortes de péniches. Un quartier destiné aux prolétaires et où fleurissaient
les
tanneries, les pourrissoirs, les boyauderies. Lessentiel de la communauté vivait là,
vêtue de loques et de vêtements de fortune, peu préoccupée de Paul ou des
quelconques missionnaires venus de Jérusalem.
Il faut donc préparer le voyage, organiser les étapes. Première
décision : dépêcher à
Rome ses fourriers, Prisca et Aquilas, avec la mission de préparer le terrain pour leur
« patron ». Ses fidèles lieutenants prendront soin de linformer de la
situation romaine. Ils
sacquittèrent bien de leur mission et, dans sa lettre, il leur vouera une gratitude sans
borne (Rm 16, 3). Seconde décision : faire lunité autour de sa personne et de son
Évangile puisquelle ne saurait provenir des chrétiens de Rome eux-mêmes, dispersés
dans leurs communautés hétéroclites. Aussi décide-t-il de leur envoyer une sorte
de
« catéchisme minimal », lessentiel de ce quil faut savoir pour être chrétien afin quils se
rejoignent sur un terrain commun : lÉpître aux Romains, un résumé de
la théologie de
Paul, une reprise de toutes les idées que lon a vu sélaborer patiemment au contact
des
difficultés de chaque église, un vade-mecum de paulinisme. Troisième décision :
obtenir
le plus de recommandations possibles. Le dernier et volumineux chapitre de lÉpître,
le
seizième, est entièrement consacré à des salutations et des congratulations. Paul
évoque les noms de tous les appuis dont il peut se prévaloir. Phœbé, la dame de
Corinthe qui lavait si bien aidé, Épénète, lun de ses premiers convertis
en Asie
Mineure, Andronicus et Junie, ses collaborateurs, les gens appartenant à la suite de
quelques personnages influents dont il avait fait des convertis, comme « ceux de la
maison dAristobule », le fils dHérode le Grand, ou « les membres
de la maison de
Narcisse », laffranchi de Claude et plus généralement, tous ceux qui, de près
ou de loin
avaient été en contact avec lapôtre.
Il ne saurait être question ici de traiter de lÉpître aux
Romains dans son ensemble :
on tâchera seulement dy repérer quelques thèmes.
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Paul commence par faire un « état des lieux » de la
condition humaine en montrant
que 1° Dieu, sil suivait la Loi, devrait condamner tout homme soumis ou non à la Loi :
le
païen ne rend pas gloire à Dieu et a déshonoré son corps et son esprit, le juif
a le cœur
endurci (1, 182, 16) ; 2° malgré la Loi, il ny a pas de privilège pour
le juif qui ne peut
pas la respecter (2, 173, 8) ; 3° juifs et Grecs sont soumis au péché (3,
9-20).
Lhomme est donc doublement menacé : 1° la nature humaine est corrompue ; 2°
tous
les hommes sont coupables de péché et doivent être soumis au jugement de Dieu.
Cette première partie résume la conception paulinienne du salut. La
réflexion
paulinienne part dun donné : Dieu a fait en sorte de se laisser connaître des hommes.
Son essence, invisible, sextériorise pour être perceptible dans sa création. Chacun
peut, sil use avec simplicité et honnêteté de sa raison, confesser sa bonté.
Malheureusement, les hommes lont ignoré. Lhumanité, dévoyée par de mauvais
conseil, sest laissé abuser. Cet abandon de Dieu engendre sa colère. Il ne sagit
pas
dun mouvement passionnel mais dune condamnation irrévocable car Dieu est
« hérissé » par cette entrée subreptice du péché, quil
ne saurait admettre.
« En
effet, la colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et
toute injustice
des hommes, qui tiennent la vérité captive dans linjustice ; car ce quon
peut connaître de
Dieu est pour eux manifeste : Dieu en effet le leur a manifesté. Ce quil a dinvisible
depuis la
création du monde se laisse voir à lintelligence à travers ses œuvres, son éternelle
puissance
et sa divinité, en sorte quils sont inexcusables. » (Rm 1, 18-21)
Cette colère atteint aussi bien les païens, car ceux-ci sont idolâtres
et immoraux, que
les Juifs, qui se croient bien trop à labri dans leur Loi. Dieu jugera le monde sur ce quil
aura donné : aux païens un jugement de païens, aux Juifs, un jugement de Juifs.
Les païens, tout dabord :
« Puisque,
ayant connu Dieu, ils ne lui ont pas rendu, comme à un Dieu, ni gloire ni actions
de grâces, ils se sont égarés dans leurs raisonnements et leur cœur insensé sest
obscurci :
se disant sages, ils sont devenus fous et ils ont troqué la gloire du Dieu incorruptible contre
une image, simple représentation dhommes corruptibles, doiseaux, de quadrupèdes,
de
reptiles. Aussi Dieu les a-t-il livrés, par les convoitises mêmes de leur cœur, à limpureté :
ils
avilissent ainsi eux-mêmes leurs propres corps. » (Rm 1, 21-24.)
La critique rejoint les réprimandes faites aux Corinthiens : le défaut
des païens, cest
leurs ratiocinations. Voulant à tout prix raisonner par eux-mêmes sans se confier à
Dieu, ils se sont égarés. Lidolâtrie constitue la preuve de leur égarement.
Les Juifs ne sont pas davantage exempts de condamnation. Se croire à labri
de la
Loi est une erreur grave car la Loi na de valeur que si le cœur est fidèle : elle nest
rien
sans la foi. Accomplir des prescriptions sans y croire et sans se convertir radicalement,
cest se moquer de Dieu. Et pourtant, les Juifs avaient reçu tant de privilèges !
La
promesse dAbraham renouvelée à Moïse, les mises en garde des prophètes, la
pédagogie de la Loi et, plus que tout, le dialogue constant avec Dieu. La colère de Dieu
ne saurait sétendre à ses propres dons, Paul ne critique pas la Loi en tant que telle :
si
elle grandit, cest face à linfidélité du peuple :
« Mais
toi, qui arbores le nom de Juif, qui te reposes sur la Loi, qui te glorifies en Dieu, qui
connais sa volonté, qui discernes le meilleur en étant instruit par
la Loi, qui te flattes dêtre
toi-même le guide des aveugles, la lumière de ceux qui marchent dans les ténèbres,
le docteur
des ignorants, le maître des simples, parce que tu possèdes dans la Loi lexpression
même de
la science et de la vérité
et bien ! lhomme qui enseigne autrui, tu ne tenseignes
pas toi-
même ! tu prêches de ne pas voler et tu voles ! tu interdis ladultère
et tu commets ladultère !
tu as les idoles en horreur, et tu fais des sacrilèges ! Toi qui te glorifies dans la Loi,
en
transgressant cette Loi, cest Dieu que tu déshonores, car le nom de Dieu, à cause
de vous,
est blasphémé parmi les nations, dit lÉcriture. La circoncision, test
utile, sans doute, si tu
pratiques la Loi ; mais si tu transgresses la Loi, avec ta circoncision, tu nes plus quun
incirconcis. » (Rm 2, 7-25.)
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Pour sortir lhomme du péché qui devrait le conduire à la
mort, Dieu a envoyé Jésus
(3, 21- 26) : seule compte donc la foi en lui, et comme le prouve lhistoire dAbraham
(cf.
Galates), la foi seule suffit (3, 274, 25).
Abraham fut sauvé parce quil crut et parce quil crut, Dieu lui
donna la circoncision.
Non le contraire. Cest bien à cause de sa foi que Dieu lui fit des promesses :
« Nous
disons, en effet, que la foi dAbraham lui fut comptée comme justice. Mais en quel
état fut- elle comptée ? Après sa circoncision ou avant ? Pas après, mais
avant ; et il reçut le
signe de la circoncision comme sceau de la justice de la foi quil possédait quand il était
incirconcis. Il devenait ainsi le père de tous les incirconcis qui ont la foi, pour que la justice
leur fût également comptée. » (Rm 4, 9-11.)
Non seulement Abraham na pas été déclaré juste par
une Loi qui a été promulguée
bien après sa mort, mais surtout la circoncision ne lui vint quaprès avoir être
juste,
comme un sceau, une marque après coup.
Pour Paul, la religion juive est un trésor, une fructueuse voie spirituelle
telle que Dieu
les aime. Il la patiemment aplanie pour la faire aller directement vers lui. Mais le temps
a passé, lhistoire sy est mise, avec ses ronces qui rendent impraticable le chemin.
Paul se conçoit comme le grand arpenteur, le grand débroussailleur qui entend faire
retrouver au chemin sa facilité originelle. Sil est foncièrement pessimiste quant à
létat
du monde, il a la certitude que Dieu ne saurait condamner durablement le monde.
La justice de Dieu.
Autre terme redoutablement difficile dans la théologie de Paul, la justice
(δικαιοισύνη)
de Dieu doit s’entendre en deux sens : la justice qui est propre à Dieu et la justice
qui
vient de Dieu.
1. La justice qui est propre à Dieu est un autre nom de la fidélité
de Dieu. Dieu est
juste car il ne se dédit pas de la promesse faite à Israël. Au contraire, il la dépasse
en
libérant les hommes par le sacrifice de son Fils.
2. La justice qui vient de Dieu procède directement de ce premier
sens. Désormais,
lhomme condamné par le péché peut interjeter appel en convoquant son représentant :
le Christ. Ne pouvant de lui-même être acquitté, il lui est permis de compter sur les
mérites de son représentant légal, qui le sauve pour lui.
3. Encore faut-il que lhomme accepte dêtre représenté,
de se laisser faire par Dieu.
Aussi certaines occurrences du mot « justice » équivalent-elles à une
sorte de justice
de lhomme entendue comme une sorte douverture à la volonté divine.
Dieu, en effet, a repris linitiative et va manifester sa justice. La foi
de lhomme lui est
proportionnée. Le nouvel ordre des choses sinspire donc directement du principe de la
foi donnée à Abraham.
Les hommes doivent donc se réconcilier avec Dieu puisque grâce à
Jésus, ils sont
dores et déjà pardonnés (5, 1-11) : ils doivent se comporter en hommes nouveaux, à la
suite du Christ, nouvel Adam (5, 12-21).
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Dieu ne se contente pas de pardonner une fois les hommes, de sorte quils
pourraient de nouveau pécher : il les amende définitivement grâce au baptême
et au don
de son esprit.
1° Le baptême symbolise la participation à la mort, à lensevelissement
et à la
résurrection du Christ : par le baptême, on meurt au péché et on renaît à Dieu, libre (6, 1-
23). Une fois baptisé, le chrétien commence à échapper au péché, parce
que, par
anticipation, le Christ est mort pour nous, quil nous a sauvés et que la marque de ce
salut est le baptême.
« Alors
que nous étions faibles, au temps fixé, le Christ est mort pour des impies. À peine
voudrait- on mourir pour un homme juste pour un homme de bien, peut-être se résoudrait-on
à mourir mais admirable preuve de lamour que Dieu nous porte, le Christ, alors que
nous
étions encore pécheurs, est mort pour nous. À plus forte raison, maintenant que nous
avons
été justifiés par son sang, serons-nous par lui préservés de la colère.
[
] Si donc, par la faute
dun seul homme [Adam], la mort a régné, à plus forte raison ceux qui reçoivent
labondance
de la grâce, et du don, et de la justice, régneront-ils dans la vie par un seul, Jésus
Christ. »
(Rm 5, 6-9 & 17.)
Le Christ, réparant la faute originelle dAdam, nous promet une vie éternelle. Une vie
éternelle qui vaut aussi bien pour les Juifs que pour les païens : la rupture avec la
prétention de certaines élites juives est ici complète.
2° Puisque lhomme meurt à son état premier, la Loi qui le
régissait nest plus valable
(7, 1- 6), bien plus, bonne en soi, elle peut devenir pernicieuse quand elle pousse au
péché (7, 7-25). Mais à quoi sert la Loi ? Paul reprend ici la réponse quil
a faite aux
Galates : la Loi na été quun guide, un pédagogue. Il va plus
loin : elle a été mal utilisée,
au point quelle est devenue loccasion du péché, en le faisant connaître et
en excitant
les convoitises. Paul nhésite pas alors à se mettre en scène (au moins de manière
rhétorique) pour illustrer son propos.
« Je
nai connu le péché que par la Loi. Et jaurais ignoré la convoitise si la
Loi navait dit :
Tu ne convoiteras pas ! [Exode 20, 17] Mais, profitant du précepte, le péché
produisit en moi
toutes sortes de convoitise : car sans la Loi le péché était mort. Je vivais jadis
sans la Loi ;
mais le précepte est venu, le péché a pris vie et moi je suis mort, et le précepte
fait pour la vie
sest trouvé me conduire à la mort. [
] Vraiment, je ne sais pas ce que je
fais : le bien que je
veux, je ne le fais pas ; mais le mal que je hais, je le fais. Or si je fais ce que je ne veux
pas,
je reconnais, avec la Loi, quelle est bonne et, en réalité, ce nest plus moi qui
fais cela, mais
le péché qui habite en moi. » (Rm 7, 7-10.15-17.)
Tel quil est représenté ici, le péché est personnifié :
le Péché est lensemble des
forces obscures qui sappuient sur lindividu et entendent le désorienter. Il a donc
la
faculté de « manipuler » une institution bonne au départ pour en faire
un outil de mort.
3° Il faut donc se placer sous lemprise de lEsprit de Dieu plutôt
que sous celle de la
chair afin de participer à la gloire divine (8, 1-30). Le chrétien doit se détacher de
la Loi et
vivre dans lEsprit. La Loi de Dieu nest pas pour autant abolie : elle change simplement
de nature. Dune loi de pureté, elle devient une loi inscrite dans les cœurs, là où
habite
lEsprit de Dieu. Laction de lEsprit en lhomme est immense : il atteste
ladoption divine
dans notre propre corps, il anime en nous lespérance, il est notre prière et par-là
nous
associe à limmense effort de la création.
« En
effet, tous ceux qui se laissent conduire par lEsprit de Dieu sont enfants de Dieu.
Aussi navez-vous pas reçu un esprit desclaves pour retomber dans la crainte ;
vous avez
reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba ! [Père !]
LEsprit lui-même se
joint à notre esprit pour témoigner que nous sommes enfants de Dieu. » (Rm 8, 14-16.)
Sous le régime chrétien, le principe qui règle les mœurs est intérieur
aux hommes :
cest lEsprit lui-même. Vient alors lépineuse question : pourquoi Dieu
choisit-il les
païens ?
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Lénoncé de lévangile de Paul suscite une difficulté :
pourquoi les juifs, dans leur
majorité, ne croient-ils pas en Jésus ? Dieu se serait-il détourné dIsraël ?
Paul répond
en trois parties.
A) Dieu nest jamais infidèle à sa miséricorde (9, 6-29).
B) Mais Israël a refusé dentendre lappel de Dieu (9,
3010, 21). Le fait est
paradoxal : Israël, en poursuivant son espoir de salut a méconnu la volonté de Dieu
(9,
3010, 4). Pourtant, par lÉcriture, Dieu avait annoncé quil privilégierait
la foi (10, 5-13),
et, dans le présent, il a envoyé ses apôtres (10, 14-21).
« Cest
bien ce quil dit en Osée : Jappellerai mon peuple celui qui nétait
pas mon peuple,
et bien- aimée celle qui nétait pas la bien-aimée. Et au lieu même où
on leur avait dit : Vous
nêtes pas mon peuple, on les appellera fils du Dieu vivant [Osée 2, 25]. Et Isaïe
sécrie en
faveur dIsraël : Quand le nombre des fils dIsraël serait comme le sable
de la mer, le reste
sera sauvé : car sans retard ni reprise le Seigneur accomplira sa parole sur la terre
[Isaïe 10,
22-23]. Et comme lavait prédit Isaïe : Si le Seigneur Sabaoth ne nous avait
laissé un germe,
nous serions devenus comme Sodome, assimilés à Gomorrhe [Isaïe 1, 9]. Que conclure ?
Que des païens qui ne poursuivaient pas de justice ont atteint une justice, la justice de la foi,
tandis quIsraël qui poursuivait une loi de justice, na pas atteint la Loi. Pourquoi ?
Parce quau
lieu de recourir à la foi ils comptaient sur les œuvres. Ils ont buté contre la pierre
dachoppement, comme il est écrit : Voici que je pose en Sion une pierre dachoppement
et
un rocher qui fait tomber ; mais qui croit en lui ne sera pas confondu [Isaïe 28, 16]. »
(Rm 9,
25-33)
Dieu sadresse donc aux païens pour une triple raison : tout dabord
parce quil avait
annoncé au prophète Osée quil le ferait, ensuite parce quil avait prévu
linfidélité des
Juifs et avait affirmé quun petit reste serait préservé, enfin parce quil
a toujours été
acquis que la foi serait pierre dachoppement. Paul exprime cette élection par la
parabole de lolivier franc : larbre des patriarches, affaibli, est renouvelé par
une
nouvelle greffe, celle des païens :
« En
effet, si toi tu as été retranché de lolivier sauvage auquel tu appartenais par
nature, et
greffé, contre nature, sur un olivier franc, combien plus eux, les branches naturelles, seront-ils
greffés sur leur propre olivier ! » (Rm 9, 24)
C) Dieu sauvera pourtant tout Israël (11, 1-32). Paul poursuite en
trois parties : 1° un
« reste » tiré dIsraël a accepté la foi (11, 1-10) ; 2°
lendurcissement dIsraël na pas été
voulu par Dieu pour quil disparaisse mais pour que lon se tourne vers les païens (11,
11-16) ; 3° Israël redeviendra fort comme un olivier quon a élagué pour
permettre un
greffon, les païens, qui le renforce (11, 17-24).
Paul peut donc conclure par une méditation sur le mystère de la conversion
dIsraël
(11, 25- 32) et un hymne dadoration à Dieu (11, 33-36).
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Après ce passage théorique, Paul propose quelques mises en pratique
conformes à
la vie nouvelle que permet le baptême.
A) Règles pour la vie intérieure de la communauté (12, 1-16) :
lidéal du chrétien est
de soffrir à Dieu (12, 1-2) ; chacun doit donc participer à la communauté
selon ses
dispositions (12, 3-8), en pratiquant la charité mutuelle (12, 9-16).
B) La communauté et ceux du dehors (12, 1613, 14) : la
charité doit également
sétendre aux non chrétiens (12, 16-21), il convient de respecter les pouvoirs civils
(13,
1-7) et de pratiquer continûment la charité (13, 8-14).
C) Solution au problème des forts et des faibles (14, 115, 13) :
pour que « forts » et
« faibles » puissent cohabiter, il faut que personne ne juge lautre (14, 1-12),
que
personne ne soit la cause de la chute de lautre (14, 1315, 6) et que chacun accepte
lautre comme le Christ a accepté tous les hommes (15, 7-13).
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Les dernières lignes de la lettre regroupent plusieurs morceaux. A) Des
considérations sur le ministère de Paul (15, 14-21) et ses projets de voyage
(15, 22-33).
B) Une première série de recommandations et de salutations adressées à lÉglise
dÉphèse (16, 1-20) qui forment peut- être la fin de la lettre dÉphèse. C)
Une seconde
série de salutations adressées à des collaborateurs de Rome (16, 21-23) qui forment
peut-être la fin de la lettre de Rome. D) Une doxologie (16, 25-27).
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Le chemin parcouru depuis les épîtres aux Thessaloniciens est considérable.
Alors
que lapôtre à ses débuts ne traitait que du retour glorieux du Christ et de lattente
des
chrétiens, il affirme dans les « grandes » épîtres quil ne
faut pas patienter jusquà la
résurrection pour rencontrer le Christ : celui-ci est présent dès aujourdhui,
dans notre
monde (Rm 5, 6) et le salut, dune certaine manière, sopère maintenant dans la
vie
selon lesprit.
Cette vie, seule la foi peut lentretenir : la définition de cette
vertu cardinale est le
propre de Paul. Et cette foi est la foi en Jésus Christ. On assiste, chez Paul au
développement autonome dune christologie qui sémancipe des théories messianiques
du judaïsme. Si la divinité du Christ est encore exprimée dans un vocabulaire proche
de
lAncien Testament, un Seigneur dont lattribut est la gloire, Paul commence à parler de
lui comme Dieu et surtout définit le rôle central de sa mort et de sa résurrection.
La mort de Jésus, tout dabord, est un sacrifice parfait (1Co 5, 7),
la Pâque libératrice
(Rm 3, 24) qui met fin à la série des sacrifices nécessaires à se concilier Dieu.
Elle est
aussi lexigence suprême de la Loi, le point daboutissement et de clôture des exigences
légales : on ne saurait aller plus loin. La mort de Jésus met fin à la Loi.
Quant à la Résurrection, elle nous prouve le primat de la vie sur la
mort (Rm 7) et
cest lEsprit qui nous la transmet.
Enfin, dernier élément nouveau de la pensée de Paul : le
caractère communautaire
du salut. Même si, dans le judaïsme, le salut était compris comme un don fait
globalement à son peuple. Paul commence à penser ce peuple de façon organique.
Lensemble des croyants est un corps (1Co 12, 12-30, Rm 12, 4-8) dont le Christ est la
tête. Et cest uniquement par la participation à ce corps que chacun pourra être
sauvé.
Au cours ses lettres, Paul met en effet en place une véritable théologie
de lÉglise,
conçue comme lensemble des croyants assemblés pour écouter la Parole de Dieu. Si
le modèle de cette Église reste la communauté de Jérusalem, héritage de la
révélation
aux Hébreux, Paul donne rang à des Églises « filles » de Jérusalem.
Dans son esprit, il
ne sagit pas de faire sécession ou de prôner le morcellement des collectivités
ecclésiales : lunité prime toujours, car au travers des différences, il y
a toujours lÉglise
une, lÉglise de Dieu qui doit se bâtir. Ne nomme-t-il pas la communauté de Corinthe
« lÉglise de Dieu qui est à Corinthe » ?
Pour Paul, les divergences ne sauraient prendre le pas sur lunité,
tout dabord parce
que lÉglise est voulue par un Dieu qui est lui-même unité (1Co 12, 4-6), mais aussi
parce que lÉglise est gouvernée un unique esprit, qui est un esprit dunité.
Enfin,
comme lapôtre la inlassablement rappelé dans ses épîtres, lunité
de lÉglise sappuie
sur lunanimité du témoignage des apôtres. Il ny a quun seul Évangile
et quune seule
foi, transmise à lunisson par des hommes érigés en apôtres par le Christ lui-même.
Cette volonté divine qui cimente la communauté quil sest choisie est un autre
nom de
lamour, dont Paul fait un vibrant éloge :
« Qui
nous séparera de lamour du Christ ? la tribulation, langoisse, la persécution,
la
faim, la nudité, les périls, le glaive ? selon le mot de lÉcriture : À cause de toi, on nous met à
mort tout le long du jour ; nous avons passé pour des brebis dabattoir. Mais en tout
cela nous
sommes les grands vainqueurs par celui qui nous a aimés. Oui, jen ai lassurance, ni
mort ni
vie, ni anges ni principautés, ni présent ni avenir, ni puissances, ni hauteur ni profondeur,
ni
aucune autre créature ne pourra nous séparer de lamour de Dieu manifesté dans le
Christ
Jésus notre Seigneur. » (Rm 8, 35-39)
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Derniers préparatifs, ultime au revoir. À la fin de lÉpître
aux Romains, Paul annonce
ses projets de voyages à ses hôtes futurs :
« Maintenant
je me rends à Jérusalem pour le service des Saints [les chrétiens] : car la
Macédoine et lAchaïe ont bien voulu organiser une collecte en faveurs des Saints de
Jérusalem qui sont dans la pauvreté. Oui, elles lont voulu, et elles le leur devaient
bien : si les
païens, en effet, ont participé à leurs biens spirituels, ils doivent à leur tour
les assister de
leurs biens temporels. [
] Battez-vous à mes côtés avec les prières que vous
adressez à
Dieu pour moi, afin que jéchappe aux incrédules de Judée et que loffrande
que je porte à
Jérusalem soit agréée des saints. » (Rm 15, 25-27 & 30-31.)
On se souvient en effet que lun des engagements de la conférence de
Jérusalem
avait été de « penser aux pauvres » de lÉglise de Judée.
Paul na cessé davoir cette
obligation à lesprit, et de solliciter ses communautés, comme les deux billets inclus
dans la Seconde Épître aux Corinthiens le prouvent. Le voyage quil accomplit jusquà
Jérusalem appelé quelquefois « voyage de la collecte » a
pour fonction de
rassembler les fonds et de les offrir aux chrétiens de la cité sainte. Malheureusement,
ce projet ne réussit pas. Les « incrédules de Judée » ennemis de
Paul gagnèrent la
partie, les « saints » chefs de la communauté nagréèrent pas
loffrande, et si Paul
aborda finalement Rome, ce fut couvert de chaînes, pour y mourir.
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